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lorsque le navire plonge de l’avant, elle s’affole alors, puis elle rentre subitement dans l’eau et se trouve presque arrêtée par la résistance du liquide. On a donc cru longtemps que l’un de ces propulseurs devait être réservé aux transports des marchandises, et que l’autre convenait seul aux voyageurs. Aujourd’hui on est moins exclusif. En France et en Angleterre, aussi bien qu’aux États-Unis, il existe de magnifiques paquebots mus par l’hélice, et les navires de ce type, bien construits et bien conduits, paraissent être en définitive les mieux appropriés aux traversées transatlantiques.

Les personnes qui sont le moins familières avec les choses de la mer savent cependant que les voyages maritimes ont acquis une régularité merveilleuse. Les paquebots partent et arrivent à jour fixe, presque à heure fixe, quand même ils ont à franchir des centaines de lieues par un mauvais temps. Il y a trente ans, on allait du Havre à New-York en trente ou quarante jours par navire à voile ; maintenant le même trajet demande dix jours au plus par bateau à vapeur. Les départs sont plus fréquens, tout en étant plus réguliers. De puissantes compagnies, qui possèdent de nombreux paquebots, installés avec tout le confortable de la vie moderne, se disputent les voyageurs. Les gens délicats choisissent le bateau qu’ils préfèrent, comme sur terre ils choisissent le train et le wagon de chemin de fer qui leur convient le mieux. La vapeur n’a pas seule le mérite de cette transformation ; ce n’est qu’en substituant le fer au bois dans la construction des coques de navire qu’il a été possible d’exécuter de tels perfectionnemens. Le navire en bois fatiguait déjà beaucoup à la mer quand il était mû par la voile ; il se détruisait en peu d’années. Comment aurait-il résisté aux incessantes vibrations d’une machine de 3 à 4,000 chevaux, agissant sans repos ni trêve pendant des journées et des semaines pour produire une vitesse régulière de 25 kilomètres à l’heure ? Le navire transatlantique actuel est une véritable chaudière en tôle, dont tous les matériaux concourent à la solidité de l’ensemble, et d’une épaisseur et d’une rigidité telles que les plus violens coups de mer frappent comme sur un bloc plein. On en cite un, le Great Britain, qui a navigué pendant quinze ans après avoir été jeté sur des rochers et abandonné un hiver à l’effet destructif des vents et des marées. Une coque en fer bien construite peut rester suspendue par ses extrémités au sommet de deux vagues sans que le centre surchargé par la machine à vapeur éprouve une flexion appréciable. Divisée dans le sens de la longueur par des cloisons étanches, elle pourrait s’entr’ouvrir en un point sans que le reste du navire fût envahi par l’eau. Sécurité, abréviation des voyages, abaissement du fret, voilà les résultats de ces admirables constructions. Dans la mer d’Irlande,