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partage, on tenait compte de l’éloignement des terres, et on donnait une moindre part de celles qui étaient plus rapprochées. Un lot sur neuf devait être cultivé au profit de l’état par les familles qui obtenaient les huit autres. Le système des terres communes, gim-tjan, se maintint jusque vers la troisième dynastie, 254 avant Jésus-Christ, et il a persisté jusqu’à nos jours dans les provinces écartées de la Corée. La propriété privée fut introduite par la maison des Zin ; mais peu à peu, disent les chroniques, les riches accaparèrent toutes les terres, qu’ils louaient ensuite aux cultivateurs dépossédés en percevant comme fermage la moitié du produit. Depuis lors, à différentes reprises, le gouvernement eut recours à des lois agraires pour multiplier le nombre des propriétaires. La plus remarquable et la plus générale de ces lois est celle qui fut décrétée par la dynastie des Tan (619 à 907). Chaque individu, pourvu qu’il fît maison à part, reçut une pièce de terre à titre perpétuel, et une autre pièce à titre temporaire, à la condition qu’il fût en état de la faire valoir. La part attribuée aux différentes classes de la population variait suivant le rang et les dignités. La propriété privée était inaliénable, sauf dans des cas extrêmes. Les possessions viagères faisaient retour à l’état, qui les redistribuait. Ce régime ne put être maintenu longtemps en vigueur ; vers l’an 1000, il fit place à la propriété privée et libre, qui, malgré la conquête mantchoue et les révolutions, s’est maintenue jusqu’à nos jours.

A Rome, comme dans toute l’Italie antique, les communautés de village possèdent d’abord la terre, puis la distinction s’établit entre l’ager privatus possédé par les particuliers et l’ager publicus, dont la jouissance est concédée à titre temporaire. Les patriciens, grâce à leur prépondérance politique, accaparent entièrement les terres publiques, exactement comme les landlords anglais. Les lois liciniennes ont pour but de rétablir et de maintenir une certaine égalité ; elles décident que tous les citoyens auront droit à une part de l’ager publicus. Dans le partage, chaque citoyen aura au moins 7 jugera (environ 2 hectares), et nul ne pourra en posséder plus de 500. Les lois par lesquelles on s’efforce de s’opposer aux conséquences d’une évolution économique atteignent rarement leur but. Les lois liciniennes n’arrêtèrent que momentanément les progrès de l’inégalité. Les Gracques, qui voyaient les latifundia envahir toute l’Italie et remplacer partout les petits propriétaires par des esclaves, proposèrent en vain leurs lois agraires. Le mouvement de concentration de la propriété foncière ne s’arrêta plus. Il mit aux mains de quelques individus des provinces entières[1]. En

  1. Il y eut un moment où toute l’Afrique romaine appartint à six propriétaires. Dans d’autres provinces, Pline nous dit que tout l’ager publicus était possédé par quelques familles. Un aqueduc ayant six milles romains de longueur ne traversait que onze domaines appartenant à neuf propriétaires. « Eh quoi ! dit Sénèque (lettre 49), une terre qui a contenu tout un peuple est trop étroite pour un seul propriétaire ! Jusqu’où pousserez-vous votre charrue, vous qui ne savez pas restreindre votre exploitation dans les limites d’une province ? Ses rivières coulent pour un seul individu, et des plaines immenses, jadis limites de puissans royaumes, vous appartiennent depuis leur source jusqu’à leur embouchure. » Appien a parfaitement décrit comment les latifundia se sont créés. « A mesure que les Romains subjugaient une partie de l’Italie, ils prenaient une part du sol de cette terre conquise ; la partie cultivée était assignée ou affermée aux colons. Quant à la partie inculte, souvent fort considérable, on l’abandonnait sans la diviser à ceux qui voulaient la cultiver, moyennant la redevance annuelle du dixième des grains et du cinquième des fruits. On voulait multiplier cette race italienne, patiente et courageuse, pour augmenter le nombre des soldats-citoyens ; mais le contraire de ce qu’on avait prévu arriva, car les riches, maîtres de la plus grande partie de ces terres non limitées, enhardis par la durée de leur possession, achetèrent de gré ou prirent de force l’héritage de leurs pauvres voisins, et transformèrent leurs champs en d’immenses domaines. Ils employèrent des esclaves comme laboureurs et comme bergers. Le service militaire arrachait les hommes libres à l’agriculture ; les esclaves, qui en étaient exempts, les remplaçaient et rendaient ces possessions fructueuses. Les riches devinrent donc démesurément opulens, et le nombre des esclaves s’accrut rapidement ; mais la race italienne s’appauvrit et disparut, usée par les impôts, la misère et la guerre. L’homme libre devait se perdre dans l’oisiveté, car le sol, cultivé par des esclaves, était tout entier aux mains des riches, qui ne voulaient pas de lui. »