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toute terre fut considérée comme concédée par le souverain. C’est pour ce motif que Blackstone et les autres jurisconsultes anglais admettent encore aujourd’hui que la terre anglaise appartient au roi. Les seigneurs anglo-saxons restés en possession de leurs domaines devinrent vassaux du conquérant, comme ceux de ses compagnons à qui il avait réellement concédé des biens confisqués. Il n’y eut plus de franc-alleu ; toutes les terres furent comprises dans le réseau des tenures féodales. Il n’en fut pas de même en Allemagne, il en fut moins encore en Néerlande et dans les pays Scandinaves. Là, à côté du seigneur et du manoir féodal, les communautés de village d’abord, puis les paysans propriétaires maintinrent leur indépendance pendant très longtemps, et même dans certaines provinces jusqu’à nos jours.

La féodalisation complète de la propriété en Angleterre eut deux résultats qui paraissent au premier abord contradictoires. D’une part, elle amena la conservation ou le rétablissement des libertés politiques, parce que, la royauté étant dès le principe très puissante, les nobles s’allièrent aux bourgeois pour limiter son pouvoir et fonder ainsi le régime parlementaire sur le type traditionnel du witena, du thing ou mallus germanique. De l’autre, elle favorisa singulièrement les développemens de l’inégalité et l’extension des latifundia, parce qu’elle donna ici aux seigneurs une partie du pouvoir législatif et judiciaire, qui fut exercé ailleurs par les rois au profit de leur autorité et parfois en faveur des classes moyennes, dont ils recherchaient l’appui. M. Nasse, M. David Syme et M. Cliffe Leslie[1] ont décrit en détail cette étonnante évolution économique, qui a eu pour résultat final de concentrer la possession de la terre anglaise entre les mains de quelques milliers de familles. Le seigneur s’était fait reconnaître le droit d’enclore la partie du territoire commun qui n’était pas nécessaire aux tenanciers. Comme il s’attribuait le domaine éminent de toute la terre, et comme la noblesse dominait dans les cours de justice, il n’y eut d’autre limite à ses envahissemens que l’intérêt qu’il avait de conserver des tenanciers pour cultiver ses terres. Dans les premiers temps, il avait intérêt à obtenir beaucoup de blé pour nourrir sa petite cour ; mais, quand les communes flamandes se mirent à acheter la laine anglaise pour faire du drap, il eut intérêt à remplacer ses tenanciers parades moutons, et la terre arable par des prairies. A partir du XIVe siècle jusqu’à nos jours, le travail d’élimination des petits propriétaires et des cultivateurs ne s’est pas arrêté. Sous Henry VII, on commence à faire des lois pour empêcher les landlords d’abattre

  1. Land Systems in Ireland, England and continental countries. London 1871.