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dont il sut plus tard faire sortir la pleine propriété. Les prairies à faucher étaient ordinairement réparties tous les ans entre les communiers. La terre arable était devenue propriété privée et héréditaire, seulement tous les usages de l’ancienne communauté agraire s’étaient maintenus. Chacun avait des lots dans les différens champs de l’assolement ; c’étaient ces champs et non les lots particuliers qui étaient entourés d’une clôture, à laquelle tous devaient travailler. Les paysans associaient leurs forces et cultivaient leurs terres, ainsi que celles du seigneur, suivant un système coopératif imposé par les nécessités du travail agricole. Pour labourer la terre, l’on attelait à la charrue huit bœufs ou quatre chevaux et quatre bœufs. Beaucoup de paysans qui n’avaient pas autant d’animaux de trait se réunissaient à deux ou trois pour former un attelage.

La population étant très peu nombreuse, la partie du sol qui était cultivée avait beaucoup moins d’étendue que celle qui ne l’était pas. La jouissance collective s’étendait donc sur la plus grande partie du territoire, et même la terre arable, quand la récolte était enlevée et les clôtures abattues, redevenait vaine pâture pour tout le bétail du village, réuni sous un berger commun. Suivant la remarque très juste et très profonde de M. Nasse, il ne faut pas confondre l’inégalité résultant de la constitution du manoir seigneurial avec celle qui fut la suite de l’introduction de la féodalité. Les relations du seigneur du manoir avec ses tenanciers, villani, socmanni ou cotarii, étaient purement économiques. Les prestations que ceux-ci devaient représentaient la rente, et étaient au fond le paiement du fermage de la terre dont le seigneur s’était attribué la propriété ou le domaine éminent. Cette subordination des tenanciers au propriétaire ou des serfs au seigneur s’était établie, grâce à l’appui des rois, exactement comme en Germanie et plus récemment en Russie, sans que la conquête fût venue soumettre des vaincus à des vainqueurs. Les relations de la hiérarchie féodale avaient aussi pour base la concession de la terre, parce que, l’impôt n’existant pas, céder la jouissance d’une terre était le seul mode possible de rétribuer un service, une fonction. Cependant la hiérarchie féodale était surtout politique ; elle constituait l’organisation de l’état, car le bénéfice était concédé viagèrement au comte, au duc, au marquis qui gouvernait une ville ou un territoire, à l’homme d’armes qui devait le service militaire, au vassal qui était tenu de se rendre au plaid pour juger et administrer avec le souverain. Le régime féodal étant dans son plein épanouissement au moment de la conquête de l’Angleterre par les Normands, il y fut appliqué d’une façon plus complète et plus suivie que partout ailleurs. On admit en théorie que le roi était devenu propriétaire de tout le territoire, et à l’avenir