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le juge ou le maire du village, le dorfrichter ou schultheiss. Comme le dit très bien von Maurer, partout où s’établirent les droits de la seigneurie, l’antique organisation de la mark et ses libertés disparurent. La justice seigneuriale prit la place du jugement rendu par l’assemblée des communiers. D’abord le représentant du seigneur appelait encore les habitans autour de lui pour juger ; plus tard, il prononça seul. La mark, qui était primitivement une petite république indépendante, fut réduite ainsi, par les usurpations successives des seigneurs et des souverains, à n’être plus que la jouissance collective des pâturages et des bois communaux, quand ceux-ci avaient été respectés.

Toutefois, de même que dans certains cantons isolés la communauté des terres arables avec partage périodique se maintint jusqu’à nos jours, dans d’autres districts l’organisation libre de la mark put échapper à la féodalisation. Il en fut ainsi par exemple dans la Frise, dans la Drenthe, en Néerlande, dans le pays des Ditmarschen au district de Delbrück, dans les cantons forestiers en Suisse. Le pays des Ditmarschen, situé en Holstein, fut peuplé par des groupes de familles venues de la Frise et de la Saxe. Ils constituèrent quatre « marches, » gouvernées chacune par 12 conseillers élus par les habitans. Ces quatre marches étaient unies par un lien fédéral. Les affaires de la fédération étaient gérées par un conseil composé de 48 « conseillers des marches. » Charlemagne avait constitué le pays en un gau ou district appelé communitas terrœ thetmarsiœ ; il était nominalement soumis à l’autorité de l’évêque de Brème, mais le bailli de l’évêché n’exerçait aucun pouvoir réel. Les 48 conseillers gouvernaient le pays, qui constituait une république indépendante. « Les Ditmarschen, dit une chronique du XIVe siècle, vivent sans seigneur et sans chef, et ils font ce qu’ils veulent[1]. » Niebuhr, qui était de ce pays, aimait à parler de ces antiques libertés. Entre la Drenthe et l’Ems, le pays de Westerwold avait conservé aussi une indépendance complète. Il avait son sceau, signe d’autonomie ; il nommait ses conseillers et son juge. Ce n’est qu’en 1316 qu’il commençait à reconnaître la suzeraineté de l’évêque de Munster, en lui donnant chaque année un chapon fumé par maison.

Les cantons forestiers de la Suisse offrent un exemple encore plus

  1. « De Ditmarschen leven sunder heren und hovedt, unde doen wadt se willen. » En France également, notamment dans le Dauphiné et la Franche-Comté, il existait des communautés de paysans qui avaient conservé leurs franchises allodiales et leur complète indépendance. M. Bonnemère en cite un exemple curieux dans son Histoire des Paysans. Les habitans d’un petit district de l’Artois, nommé l’Alleu, refusèrent en 1706 de payer la contribution qui leur était imposée, et ils voulurent se rendre à Versailles pour montrer à Louis XIV les titres de leurs franchises et de leur immunité.