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Dans l’emphytéose et dans le colonat ou métayage, on reconnaît la double propriété qui caractérise la tenure censive, le suzerain conservant le domaine éminent avec les redevances auxquelles il donne droit, le cultivateur ayant la jouissance héréditaire.

Sur les confins de l’empire, tout le long du Rhin et du Danube, l’état avait concédé des terres, agri limilrophi, à des vétérans qui s’engageaient à s’acquitter du service militaire en cas de besoin. C’est exactement le système des régimens-frontières organisés par l’Autriche sur la frontière turque. L’état conservait le domaine éminent ; les vétérans avaient la jouissance à la condition de porter les armes. Telle était aussi la condition du vassal à l’égard de son suzerain. Les monarques d’origine germanique qui fondèrent la féodalité n’eurent qu’à imiter le régime qu’ils avaient sous les yeux. La plupart de ces vétérans étaient d’ailleurs eux-mêmes des Germains enrôlés dans les armées impériales et établis sur les terres romaines pour les défendre. Les autres obligations du bénéficiaire féodal, celles d’aider le suzerain à doter sa fille et à équiper son fils, à les protéger pendant leur minorité, à payer la rançon, s’il était fait prisonnier, dérivaient les unes de la condition du client, les autres de celle du leude germain.

On peut aussi trouver les germes du système féodal dans une coutume ancienne des communautés de village. Parmi les lots de terres arables, il y en avait, avons-nous VII, dont la jouissance était destinée à servir d’honoraire à certaines fonctions et à certains métiers. Ces terres, données ainsi comme traitement, constituaient évidemment des fiefs. La même chose existait dans le village hindou. La fonction ou le métier et par suite le lot de terre qui y était attaché se transmettaient souvent de père en fils. Il en résultait une tendance à établir l’hérédité qui se manifesta aussi pour les bénéfices féodaux, et qui finit par triompher, comme on le sait, sous les derniers Carlovingiens[1]. Les rois germains, ne percevant pas

  1. Dans une partie de l’Inde, en Bengale, un gouverneur, lord Cornwallis, a féodalisé le pays par un seul article de loi, opérant ainsi en un moment une transformation dans l’ordre social qui ne s’est accomplie en Europe qu’après plusieurs siècles. Les semindars étaient des fonctionnaires qui percevaient les impôts dans les villages et qui en transmettaient le produit au souverain après en avoir conservé une partie comme rémunération de leur peine. Lord Cornwallis, croyant retrouver dans l’Inde l’organisation de l’Angleterre, considéra les semindars comme des propriétaires touchant la rente de leurs tenanciers et payant sur cette rente un fort impôt à l’état. Il transforma ainsi les villageois, jadis propriétaires sous le domaine éminent de l’état, en fermiers des semindars, et il créa du coup la grande propriété féodale avec l’hérédité des bénéfices. Plus tard on reconnut la faute qu’on avait commise, et dans les autres provinces l’état n’a plus admis d’intermédiaire entre le cultivateur et lui. Voyez à ce sujet l’excellent travail intitulé Tenure of Land in India, by George Campbell chief commissioner of the central provinces of India. — Cobden Club Essays, t. Ier.