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avaient échappé à la conquête, l’individu était doué d’une vigueur très supérieure.


II

La demeure de l’homme libre s’appelle dans le latin des anciens documens curtis, hoba, mansus, et dans les dialectes germaniques hof, tompt, bool. La part indivise de la terre arable qui y était attachée était ordinairement désignée par le mot pflug, charrue, parce qu’elle avait l’étendue qu’on labourait habituellement au moyen d’une charrue. Cette part devant suffire aux besoins d’une famille était d’autant plus grande que la terre était moins fertile. Ainsi dans la région du Rhin et de la Lahn elle était de 30 morgen (de 25 ares chacun), aux environs de Trêves de 15, dans l’Odenwald de 40, et dans l’Eifel de 160 morgen.

Le passage où Tacite dit des Germains : colunt discreti ac diversi ut fons, ut campus, ut nemus placuit, avait fait croire qu’ils habitaient des demeures isolées au milieu des champs qui en dépendaient, tandis que dans le midi les habitans se groupaient dans les villages. Aujourd’hui il est généralement admis que les Germains groupaient aussi leurs demeures. Les fermes isolées ne se rencontrent guère en Allemagne que dans le nord-ouest, et elles y sont d’origine récente. Partout ailleurs, les maisons sont concentrées en un groupe occupant le milieu du territoire. Le village, appelé boel, by dans le nord, dorf, torf dans le centre et le midi, était entouré d’un clôture, d’une haie vive souvent, avec des barrières se refermant d’elles-mêmes, comme on en rencontre ordinairement sur les hauts pâturages de la Suisse. Les villages saxons de la Transylvanie présentent encore aujourd’hui cet arrangement.

Dans la Germanie, comme en Russie et dans l’Inde, la communauté de village avait pour fondement des relations de famille provenant d’une origine commune. Comme le clan écossais ou la gens romaine, les habitans du dorp conservaient la tradition qu’ils descendaient d’un même ancêtre. Dans le nord Scandinave, où les savans danois ont retrouvé tant de traces de la primitive organisation agraire, la terre a été cultivée d’abord par des groupes dont le nom indique la plus intime relation ; ils s’appelaient skulldalid et frändalid, association d’amis. L’ancien groupe familial, qui constitue l’unité sociale chez les peuples nomades, s’était conservé après que la tribu s’était assise sur le sol pour s’adonner à l’agriculture. Il en résultait que la communauté exerçait un droit de domaine éminent, même sur ce qui était propriété privée. Nul ne pouvait vendre son bien à un étranger sans le consentement des associés, et ceux-ci