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fait remarquer M. Maine, on a ici un type archaïque d’une communauté de village où la culture passe successivement d’une partie à l’autre du territoire, et où les lots sont tirés au sort. Avant que les villages d’Écosse n’eussent vendu leurs biens communaux, cette organisation agraire se rencontrait très fréquemment. Faire passer successivement aux mains de chaque famille une partie du sol, propriété collective, devait être une coutume très répandue en Angleterre, même jusqu’au XVIe siècle, puisque les puritains émigrés de l’autre côté de l’Atlantique l’y transportèrent. Les terres destinées à la culture étaient concédées d’une façon permanente, mais les prairies restaient en commun, et étaient réparties de nouveau chaque année comme les lot meadows et les lammas land de la mère-patrie[1].

Walter Scott, en visitant les îles Orkney et Shetland avec la commission des phares, avait été très frappé des formes de la propriété qu’il y avait observées et qu’on appelait udal tenures. Il en parle dans ses notes et dans son roman, le Pirate. Tout le territoire des townships était propriété commune des habitans : la partie arable était répartie entre eux ; les bruyères et les tourbières (moor) demeuraient pâture collective pour le bétail. Dans le Monastère, le grand romancier écossais décrit l’organisation agraire des petites communes de son pays telle qu’elle existait anciennement, et qui était semblable, dit-il, à celle des îles Shetland. Les habitans se donnaient en tout aide et protection. Ils possédaient le sol en commun ; mais pour le mettre en valeur ils le répartissaient en lots possédés temporairement comme propriété privée. Toute la corporation participait indistinctement aux travaux agricoles, et le produit était distribué après la moisson selon les droits respectifs de chacun. Les terres éloignées étaient successivement mises en culture, puis abandonnées jusqu’à ce que les principes de la végétation fussent reconstitués. Les troupeaux des habitans étaient conduits sur le pâturage commun par un pâtre fonctionnaire communal au service de tous.

Pour les Germains, comme pour tous les peuples primitifs, la propriété de la terre, ou plutôt le droit d’en occuper une part, était le complément indispensable de la liberté ; Plusieurs économistes ont émis la même idée. Sans propriété point de vraie liberté, a dit M. Michel Chevalier. L’homme libre devait pouvoir subsister des fruits de son travail, et, comme l’unique travail qui pût procurer de quoi vivre était la culture du sol, il fallait bien attribuer une part.

  1. « When the english puritans colonised New-England, the courts of the infant settlement assigned lands for cultivation and permanent possession and apportioned from year to year the common meadow ground for mowing. » Palfrey, History of New-England, t. Ier, p. 343.