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brisés pour en extraire la moelle. Les peuples chasseurs sont des peuples guerriers ; ils ne peuvent vivre que les armes à la main, et les limites du territoire de chasse sont un sujet constant de luttes meurtrières. Aristote avait bien saisi ce trait des sociétés naissantes. « L’art de la guerre, dit-il, est un moyen d’acquisition naturelle, car la chasse est une partie de cet art. Ainsi la guerre est une espèce de chasse aux hommes nés pour obéir et qui se refusent à l’esclavage. »

Quand l’homme en est arrivé plus tard à domestiquer certains animaux propres à le nourrir, un grand changement s’est fait dans son sort ; il s’est trouvé assuré du lendemain, ayant toujours sous la main de quoi subsister. La quantité de nourriture produite sur une même étendue étant plus grande, le groupe social a pu devenir plus nombreux ; la tribu s’est formée. L’homme a cessé d’être cet animal de proie, ce carnassier, ce cannibale, qui ne songeait qu’à tuer pour vivre. Des sentimens plus affectueux, plus pacifiques, ont pris naissance, car pour multiplier les troupeaux il faut prévoir, soigner leur nourriture, s’attacher à eux, les aimer en quelque sorte. Le régime pastoral n’est donc pas incompatible avec une certaine civilisation. Sans exclure l’emploi des armes, ce n’est plus cette lutte constante, ces combats, ces embûches et ces massacres de chaque jour qui caractérisent la période précédente. La culture de certaines plantes alimentaires peut se concilier même avec la vie nomade. Ainsi les Tartares cultivent la céréale qui porte leur nom, le polygonum tartaricum ou sarrasin. Ils brûlent la végétation de la superficie, sèment et récoltent en deux ou trois mois, puis se transportent ailleurs. Les Indiens au-delà du Mississipi cultivent de la même façon une sorte de riz sauvage. C’est ainsi que commence l’agriculture. Les Germains, au moment où les Romains les ont rencontrés d’abord, étaient un peuple de pasteurs qui avait conservé les mœurs guerrières des chasseurs primitifs et qui abordait le régime agricole. Il parait admis que les tribus de la race aryenne, avant leur dispersion, ne connaissaient pas l’agriculture, car les termes qui désignent les instrumens aratoires et la culture de la terre diffèrent dans les diverses branches des langues aryennes, tandis que les mots qui se rapportent à l’élève des troupeaux sont semblables. Les Germains, les derniers venus en Europe, ne s’étaient pas encore assez multipliés pour devoir demander une grande partie de leur nourriture au rude travail qu’exigent le labourage et la moisson. Ce n’est jamais que sous la pression de la nécessité que l’homme se résigne à un travail plus long et plus dur.

Certains auteurs allemands ont soutenu que les Germains, à l’époque de Tacite, pratiquaient l’assolement triennal, consacrant un tiers de la terre arable à une céréale d’hiver, un tiers à une