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voté on est encore loin du chiffre auquel il faut atteindre, on se retrouve plus que jamais en présence de l’impôt sur les matières premières. Le gouvernement est tout près d’en être venu où il voulait. Il triomphe, si l’on veut ; mais il se trouve par le fait que la difficulté est beaucoup moins résolue qu’elle ne paraît l’être. Cet impôt sur les matières premières, auquel on revient par de si étranges détours, que produirait-il en effet tel qu’il se présente aujourd’hui ? M. le président de la république est convaincu qu’il doit produire 60 millions d’abord, puis près de 100 millions ; la commission des tarifs, qui, elle aussi, a étudié la question, croit qu’il ne peut pas donner pour le moment plus de 5 ou 6 millions. Où est la vérité ? Le doute est au moins permis, et c’est pour un résultat aussi problématique qu’on frapperait d’un impôt onéreux les premiers élémens du travail national, qu’on s’exposerait à jeter le trouble dans les relations commerciales de la France avec les autres pays ! M. le président de la république est profondément convaincu qu’il est dans la vérité financière, économique ; c’est sa conviction qui, avec son esprit, fait le charme de son éloquence, et nous convenons sans peine que dans cette discussion même, où il a déployé des dons si merveilleux de savoir et d’habileté, il a jeté le désarroi parmi ses adversaires. Réussira-t-il jusqu’au bout ? enlèvera-t-il définitivement son impôt préféré après avoir détruit presque toutes les propositions de ses contradicteurs ? Nous ne le savons encore. Quoi qu’il arrive, il est bien certain que cette discussion ne finira pas sans avoir donné au budget toutes les ressources nouvelles dont il a besoin, et sous ce rapport la situation financière est du moins assurée de façon à offrir un suffisant appui à l’emprunt qui se prépare.

À vrai dire, la question la plus essentielle n’est pas là, et si le crédit de la France dépend en partie de l’équilibre de son budget, du bon ordre de ses finances, il dépend plus encore de notre sagesse, selon le mot si souvent répété, de notre esprit politique, de la fermeté de notre jugement. C’est là le point grave où il faut toujours revenir. Un ministre habile disait autrefois : « Faites-moi de la bonne politique, je vous ferai de bonnes finances. » Il n’est malheureusement pas certain qu’on soit occupé aujourd’hui à faire de la bonne politique, et tous les incidens qui se succèdent ne font que rendre plus sensibles les incohérences croissantes d’une situation d’où on ne saura plus bientôt comment sortir. De jour en jour, cette situation, au lieu de s’apaiser, s’aigrit et se complique. Sans doute, il y a pour le moment une force supérieure des choses, une considération douloureuse, irrésistible, qui maintient tout, qui empêchera bien des éclats dangereux ; le fait n’existe pas moins, et il serait bien inutile de se faire illusion. C’est un peu, quoi qu’on en dise, le triste résultat de cette manifestation fort inopportune tentée récemment par la droite et le centre droit. La vérité est que depuis ce moment on vit dans un malaise perpétuel. La discussion la plus