Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Pas un qui lâchât pied, car l’heure était suprême…
On sentait le devoir, l’honneur, le dévoûment,
Et la patrie au fond de l’âpre acharnement.


On connaît la superbe page où nos victoires, nos conquérans, nos guerriers, couronnés par l’histoire, rendent leur épée sur le champ de bataille de Sedan. L’énumération y est longue, c’est que la liste de nos gloires est longue aussi. Tout est digne d’admiration dans cette peinture, excepté un mot, encore un de ceux qui plaisent au poète depuis les Châtimens. Au reste il a tellement concentré dans cette pièce tout ce qu’il avait de haine et d’indignation, qu’elle a l’air d’un coup de grâce, et qu’il n’y revient pas.

De la même veine simplement patriotique ont jailli plusieurs morceaux tels que la pièce intitulée A la France, éloquente et pathétique dans sa brièveté. Nous entrons ici dans le domaine des illusions fatales, des espérances déçues qui ont obsédé cinq mois la pensée de Paris assiégé. Quel habitant de cette ville exaltée dans sa prison ne s’est imaginé, au moins durant quelques semaines, que les puissances allaient venir au secours de cette capitale de la civilisation ? Qui ne s’est pas indigné de la froideur qu’elles nous témoignaient, que dis-je ? des reproches qui ont plu de toutes parts sur cette France blessée, souffrant sa passion, clouée au gibet ? Qui n’a dit avec le poète :

Hélas ! qu’as-tu donc fait aux nations ? Tu vins
Vers celles qui pleuraient, avec ces mots divins :
Joie et paix ! — Tu criais : — Espérance, allégresse !
Sois puissante, Amérique, et toi, sois libre, ô Grèce !
L’Italie était grande ; elle doit l’être encor :
Je le veux ! — Tu donnas à celle-ci ton or,
A celle-là ton sang, à toutes la lumière.


Folie, infatuation ! nous le voulons bien. Les peuples ne connaissent pas la gratitude, et puis où prenions-nous ce droit de donner à celui-ci la liberté, à celui-là la puissance ? N’y avait-il pas bien de l’orgueil à se faire les redresseurs des torts, à nous chercher des missions supérieures ? Pourtant cette démence héroïque a été générale, et, lorsque notre or a été dissipé, lorsque notre sang coulait par toutes les veines du pays, nous nous sommes souvenus de l’or et du sang que nous aurions dû garder pour la France. Nous aussi, nous avons, comme le poète, réclamé une dette qui n’était pas reconnue : pour avoir été non pas bienfaisans, mais prodigues et dissipateurs, nous avons vu notre patrie reniée.

Tous les rêves de l’écrivain pourtant ne sont pas les nôtres : nous ne sommes plus avec lui quand il s’agite avec ces milliers de citadins qui se croyaient soldats. Le poète pouvait désirer des