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Cette étude a été faite au moins en apparence par les étrangers, et il ne laisse pas d’être curieux et instructif pour nous de savoir ce qu’ils ont dit de l’Année terrible. Les Anglais ont loué l’ouvrage à peu près sans restriction ; il en est même qui l’ont considéré comme une véritable épopée divisée en douze chants, dont chacun porte le nom d’un mois de l’année. Voilà donc un poème français qui est mis au premier rang par l’admiration britannique, de prime abord et avant que l’opinion se soit prononcée dans le pays de l’auteur. Nous ne croyons pas que la gloire de celui-ci puisse gagner beaucoup à un tel suffrage, et de justes louanges accordées par un tribunal compétent, tempérées même par des réserves nécessaires, la serviraient mieux. Il convient de se méfier des louanges de l’étranger ; l’approbation de la marchande d’herbes d’Athènes aurait plus flatté Théophraste que celle des beaux esprits de Lesbos.

Il y a d’ailleurs deux circonstances qui ôtent à ces éloges une bonne partie de leur valeur. Les Anglais vantent l’esprit de conciliation qu’ils croient apercevoir dans l’Année terrible, ils sont dupes, comme l’auteur tout le premier, de cette balance qu’il s’imagine tenir entre le gouvernement de la république et la commune, comme s’il pouvait y avoir une balance entre l’état et des rebelles, entre la nation indignée et des insurgés pillards et sanguinaires. Laissons le côté politique et social de la question. Le critique, bien qu’il soit citoyen et en cette qualité obligé de protester contre cette aberration fâcheuse, se contente de voir là un jeu malheureux de l’esprit, une antithèse entre Paris et Versailles, l’intention tout au moins puérile d’opposer l’Arc de Triomphe, effleuré en passant par le canon de nos généraux, à la démolition de la colonne Vendôme, exécutée de sang-froid par nos tyrans de deux mois. C’est une faute de goût et de sens très grave dans un écrivain trop amoureux de l’effet ; mais quel nom donner à cette confusion inouïe, quand elle se retrouve dans des écrits composés à loisir, de l’autre côté de la mer, loin de toutes les sources naturelles de la prévention ? S’il peut être doux, comme dit le poète latin, d’assister du rivage au spectacle du navire battu des vents, quelle légèreté n’y a-t-il pas à instruire le procès de l’équipage, tandis qu’il fait de terribles efforts pour se sauver ? Nous n’apprendrons point sans doute à M. Victor Hugo, qu’en Angleterre on a loué sa prétendue impartialité entre les révoltés coupables de meurtres, d’incendies, et les soldats frappant au nom de la loi ; il regrettera pourtant que le démon de l’antithèse lui ait dicté des vers qui se tournent aisément en calomnies.

Quel est ensuite le blâme à peu près unique exprimé par les sages Anglais sur l’Année terrible ? Celui d’accabler d’invectives l’Allemagne et ses princes, d’entretenir l’idée d’une revanche, de