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L'ANNEE TERRIBLE
DE M. VICTOR HUGO

Au milieu du bruit qui s’est fait autour du nouveau recueil de M. Hugo, et qui ne répondait que trop aux désirs du poète, la critique a dû attendre un moment plus favorable. Faire la part des bonnes pages, recueillir un butin devenu rare, celui des beaux vers, à quoi bon ? Les hommes de parti qui veulent tout admirer dans celui qu’ils encensent, qu’ils enivrent, n’en donnaient pas le loisir ; ils prenaient tout et ne laissaient pas approcher de l’autel les seuls hommages qui comptent réellement. D’ailleurs il ne convenait pas à des esprits libres ni de paraître se confondre dans la foule des amis bruyans qui embouchent la trompette dithyrambique, ni d’oublier les droits de la morale et du patriotisme, souvent blessés par l’écrivain dans les entraînemens de sa colère et encore plus de son imagination. Désormais la polémique a fait son œuvre ; le public a pu juger en connaissance de cause les écarts de l’auteur. Ce n’est pas tout ; nous jouissons d’une paix relative, à laquelle M. Victor Hugo pouvait grandement contribuer, ce qu’il n’a pas fait, mais dont il jouit comme nous. Ce Paris qu’il adore se remet lentement, mais visiblement, de la fièvre morale contractée durant le siège. Il en est probablement de même du poète, car son livre est loin d’être exempt de la contagion que nous avons connue autour de nous. Jusqu’à un certain point, l’Année terrible porte son excuse avec elle ; ajoutons-y un deuil cruel, plus d’une circonstance douloureuse : nous ne faisons pas du reste à M. Hugo l’injure de croire que des mésaventures politiques puissent atteindre jusqu’à un cœur rassasié d’une gloire plus enviable. Dans ces circonstances, il semble que rien ne doive plus nous empêcher de consacrer à cette œuvre une étude purement littéraire.