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considérable, à partager entre les divers états. Voilà comment seront dépensés nos milliards. Ils rendront l’Allemagne plus forte et plus riche qu’elle ne l’a jamais été, ils feront d’elle la puissance la plus redoutable du continent. Ce raisonnement, qui est des plus clairs, s’adresse tout à la fois à la France et à l’Europe.

Pour en revenir, après cette digression aussi triste qu’instructive, au traité du 29 juin, l’anticipation de nos paiemens n’était pas indispensable au trésor allemand, qui pouvait se procurer très aisément des ressources ; mais elle lui est commode, parce qu’il a déjà consommé plus de 1 milliard à imputer sur la somme qui, tous frais de guerre payés, formera son bénéfice, et que le paiement prochain de 2 demi-milliards lui permettra d’exécuter ses plans de travaux sans avoir besoin de chercher d’autres combinaisons financières. Dès lors le cabinet de Berlin ne pouvait hésiter à nous payer ce service par l’évacuation partielle stipulée au traité, en attendant que de nouvelles avances, ou l’offre de suffisantes garanties, ou encore les incidens imprévus de la politique, l’engagent, au nom de l’intérêt allemand, à rappeler toute son armée.

Lorsque furent signées les conventions du 12 octobre 1871, nous avons exposé les argumens qui conseillent à l’Allemagne de ne point prolonger jusqu’au terme fixé l’occupation du territoire français[1]. » Cet état de choses est tout à fait anormal : il maintient l’inquiétude dans les esprits et le trouble dans les relations ; il n’est point seulement douloureux pour la France, — l’Allemagne et l’Europe en souffrent. L’ordre européen, qui importe à toutes les nations, demeure à la merci du moindre incident qui peut se produire entre Français et Allemands sur le sol occupé. Les cabinets de Versailles et de Berlin ont fréquemment à correspondre au sujet de conflits entre les autorités, de querelles entre les individus, de griefs réciproques, que cette cohabitation forcée rend inévitables, et dont l’examen exige une chancellerie spéciale. Enfin les troupes allemandes qui tiennent garnison en France désirent rentrer au plus tôt dans leur patrie. Tous les motifs se réunissent pour hâter l’heure à laquelle, selon la règle internationale, chacun restera libre et maître dans ses frontières. C’est l’intérêt, ce doit être le vœu de l’Allemagne, qui ne saurait plus avoir aujourd’hui d’autre pensée que la garantie de sa créance, garantie politique dont la solidité dépend de l’attitude de notre gouvernement et de la conduite des partis, garantie financière qui repose sur l’exécution si fidèle jusqu’ici de nos premiers engagemens et sur l’émission du prochain emprunt.

Peu de mots suffiront au sujet de la garantie politique. Lors même

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 18T1, les Traités de Berlin.