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se soit avisé d’ériger une caricature en argument diplomatique et de retrancher ses refus derrière un article de journal. Quoi qu’il en soit, les Allemands instruits, et ils sont en grand nombre, savent le français, ils lisent nos journaux, et l’on comprend que cette lecture les tienne en défiance. La presse prussienne, badoise, bavaroise ne se montre pas plus conciliante à notre sujet. Si les armes sont au repos, la plume et le crayon continuent la guerre. Les caricatures n’observent pas la trêve, et de part et d’autre les injures et les fanfaronnades vont leur train. Il n’y a là ni bon goût, ni dignité, ni profit. C’est une difficulté de plus pour les diplomates qui, traitant au nom des deux nations, sont obligés de lutter contre le courant des ressentimens réciproques, alimentés par une presse qui n’a trop souvent de politique que le nom.

Lorsque M. de Bismarck soumit à l’approbation du parlement de Berlin la convention du 12 octobre 1871, qui stipulait l’évacuation anticipée de six départemens, il eut à se défendre contre de vives attaques ; on l’accusa d’avoir fait sans utilité une concession à la France. Il fallut qu’il se justifiât de n’avoir point méconnu les sentimens ni sacrifié les intérêts de l’Allemagne ! Ce fut à cette occasion qu’il traça le programme de la politique à observer dans les rapports avec la France. — Il convient, disait-il, de ne point nuire à la France au-delà de ce qu’exige l’intérêt de l’Allemagne ; il importe même de lui venir en aide dans les circonstances et dans la mesure où l’Allemagne peut y trouver son bénéfice. — La France n’a donc rien à demander ni à attendre en dehors de l’intérêt allemand, qui est, nous ne le savons que trop, bien habilement défendu.

Or l’intérêt allemand conseillait de ne point maintenir à une seule échéance le paiement des 3 milliards, à supposer même que ce paiement intégral eût été possible. Retirer de la circulation européenne une telle masse de numéraire et d’effets de commerce pour les y relancer brusquement, le même jour, par l’intermédiaire d’une seule caisse, c’eût été s’exposer sûrement à une crise monétaire et financière, qui eût frappé à la fois tous les marchés, y compris le marché allemand. Que l’on se rappelle la perturbation causée, dans le courant de l’année dernière, par l’acquittement des premiers termes de l’indemnité. Il n’y a pas un homme d’affaires qui, après cette épreuve, n’ait été convaincu que les deux gouvernemens arriveraient à une entente pour répartir sur une plus longue période et entre plusieurs échéances le versement du surplus. On supposait même que le cabinet de Berlin accepterait en paiement une quantité considérable de rente française, ainsi que cela s’est fait en 1818, dans une situation tristement analogue.