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le protestantisme, les conquêtes de la liberté de conscience s’opérèrent graduellement qu’elles ont résisté aux dangers qui les environnaient. Dans la guerre de trente ans, les réformés allemands n’eussent pas rencontré l’appui d’un Gustave-Adolphe et d’un Richelieu, si au lieu de représenter une société religieuse régulière, fidèle sur les points les plus essentiels à l’ancienne tradition chrétienne, respectant les principes de la société politique telle qu’elle était alors constituée, ils n’eussent offert qu’un assemblage incohérent de fanatiques et de niveleurs. Loin de se sentir assez forts pour recourir à l’étranger sans crainte de perdre leur nationalité et leur autonomie, ils eussent trouvé non des alliés, mais des maîtres, et le traité de Westphalie, au lieu de consacrer définitivement les conquêtes de la réforme en Allemagne, n’aurait été que le démembrement de l’empire au profit de la France, du Danemark et de la Suède.

En restant dans les bornes d’une simple réforme religieuse, les états protestans échappèrent au péril qu’ils s’étaient eux-mêmes en partie créé. Ils unirent étroitement la cause de la doctrine évangélique à celle de l’indépendance territoriale. Les apôtres du mouvement religieux, ramené à une épuration ou, si l’on veut, à une simplification du culte, à un schisme avec Rome, eurent ainsi des protecteurs naturels dans les princes et les villes, intéressés à soutenir le principe de l’indépendance territoriale, qui les mettait à l’abri d’une complète sujétion à l’empereur. Dans la ligue contre l’édit de Worms, édit qui menaçait d’étouffer à sa naissance le mouvement de la réforme, les princes allemands défendaient surtout leur droit de souveraineté, car la question politique qui se débattait en cette circonstance, c’était de savoir si chaque prince avait dans ses domaines le droit de régler ce qui touchait aux rapports de l’église et de l’état. En protestant contre le vote de la diète qui, conformément à la décision impériale de Spire, revenait sur la résolution antérieure où était implicitement reconnue la liberté pour chaque prince de condamner ou d’admettre la doctrine de Luther, ils ne firent que consacrer plus solennellement un droit qui leur avait été temporairement laissé. Ce droit, que l’empereur voulait leur dénier, ils en obtinrent l’exercice provisoire, et la garantie qu’ils avaient arrachée par les armes devint définitive. Ainsi fut enfin assurée, jusqu’à la nouvelle lutte qui devait éclater un siècle plus tard, l’existence de la religion évangélique. Le luthéranisme, entré désormais dans l’ordre politique et régulier, amena des changemens qu’on avait tout d’abord vainement réclamés, et par le développement naturel des idées issues de cette révolution religieuse commença pour les paysans et les classes pauvres un état meilleur.