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La défaite des anabaptistes porta en Saxe un coup de mort à l’insurrection des paysans. Dès les premiers jours de juin, l’électeur Jean força un corps de 8,000 insurgés, qui de la Franconie s’étaient portés à Meiningen et n’avaient pas moins de 17 pièces d’artillerie, de mettre bas les armes. Hildburghausen fit également sa soumission. George Truchsess, qui après la convention conclue avec les insurgés s’était porté dans le Wurtemberg, avait fait éprouver aux paysans, près de Böblingen, un grave revers. Le principal bourreau de l’infortuné comte de Helfenstein, ce monstre qui avait accompagné des sons criards de son fifre la chasse féroce de Weinsberg, tomba entre les mains des soldats de la ligue de Souabe. Le châtiment qu’on lui infligea fut aussi barbare que le crime qu’on lui reprochait : on le brûla à petit feu. Les bandes claires du Nectar et de la Franconie furent ensuite dispersées. En Alsace, où la révolte des paysans avait pris de redoutables proportions et où les rustauds, comme on les appelait, s’étaient rendus coupables des mêmes excès et des mêmes violences, quoiqu’ils suivissent plutôt les douze articles que les doctrines de Münzer, le duc Antoine de Lorraine déploya non moins d’énergie que les princes allemands. La révolte avait été d’abord facilement pacifiée dans le Sundgau et la haute Alsace ; mais les rustauds s’étaient réunis en grand nombre dans la moyenne Alsace. Ils avaient mis à leur tête un bourgeois de Molsheim nommé Érasme Gerbert, et tenu une assemblée générale près de cette ville, dans la Haardt, vaste plaine qui s’étend au pied des Vosges. Les historiens ont accusé Antoine de cruauté ; mais le savant archiviste du département de la Meurthe, M. Henri Lepage[1], a lavé le prince lorrain de ce reproche et prouvé par des documens authentiques que, si le duc réprima des désordres attestés par tous les contemporains, il n’ordonna pas, à beaucoup près, autant d’exécutions qu’on l’avait avancé. Il résulte des mêmes pièces qu’en Lorraine et en Alsace, comme dans les principales parties de l’Allemagne où éclata la guerre des paysans, le fanatisme religieux, bien plus que les vexations exercées sur les gens de campagne par leurs seigneurs, poussa ceux-ci à la révolte. L’insurrection des rustauds, qui de l’Alsace avait gagné la Lorraine, ne semble pas au reste avoir entretenu d’intelligence avec le mouvement anabaptiste.

La jonction de l’armée des princes, avec celle de la ligue de Souabe, qui avait soumis le Wurtemberg, acheva d’écraser la rébellion. Le 28 mai, l’électeur palatin et celui de Trêves, qui avaient enlevé la ville de Bruchsal aux paysans, étaient venus se réunir à Truchsess. Ils se portèrent tous trois de concert vers la Franconie

  1. Documens inédits sur la guerre des rustauds, Nancy 1861.