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anabaptiste ; à Eisenach et à Nordhausen, à Erfurt, à Sangerhausen, dans les comtés de Stolberg et de Mansfeld, les bourgeois se mirent de la partie. On saccageait maisons religieuses et manoirs seigneuriaux, on n’épargnait même pas les bibliothèques et les archives. Au couvent de Walkenried, les paysans donnèrent les manuscrits pour litière à leurs chevaux. A Reinhardsbrunn, on détruisit la bibliothèque et les archives des anciens landgraves. A Frankenhausen, Münzer, à la tête d’une troupe de furieux, envahit le couvent, le château et l’hôtel de ville, déchira tous les livres, tous les papiers qui lui tombèrent sous la main ; des habitans ayant osé blâmer de tels actes de vandalisme, leurs maisons furent livrées au pillage. Les comtes de Mansfeld se mirent enfin en mesure de faire cesser un tel désordre. Ils convoquèrent leurs vassaux, et s’avancèrent vers Œsthausen, tandis que les sectaires, exaltés par leurs faciles succès, s’apprêtaient à résister. Le couvent des franciscains de Mühlhausen avait été transformé en arsenal, on y fondait des canons et des projectiles. Pour encourager ses partisans, Münzer ne se faisait pas faute d’annoncer de prétendues défaites de l’armée des princes et de la ligue, l’arrivée de secours envoyés aux anabaptistes par les paysans des diverses parties de l’Allemagne. Pfeifier exposait au peuple les songes prophétiques par lesquels Dieu lui promettait la victoire. Dans leur orgueil, les nouveaux prophètes défiaient insolemment l’ennemi qui allait les combattre. Déjà le 12 mai, Münzer avait adressé aux comtes Albert et Ernest de Mansfeld deux lettres empreintes de l’orgueil le plus insensé, et où l’injure descendait aux expressions les plus ignobles et les plus ordurières. Il y traitait ces seigneurs et Luther comme des infâmes et des scélérats, ne parlait que de destructions et de vengeance, citant le prophète Ézéchiel pour prouver que Dieu appelle tous les oiseaux du ciel à venir dévorer la chair des princes et les bêtes brutes à boire leur sang. Il s’y donnait comme un second Moïse qui allait frapper les nouveaux pharaons. Ces forfanteries furieuses n’empêchèrent pas Œsthausen de tomber au pouvoir des troupes des comtes de Mansfeld ; les insurgés qui occupaient la ville prirent la fuite après y avoir mis le feu, et gagnèrent Frankenhausen.

Tout était en combustion dans la Thuringe et la Hesse. Les paysans étaient excités au plus haut degré, et, comptant sur leurs forces, ne voulaient pas plus écouter leurs seigneurs que la diète de Nuremberg, qui avait pourtant engagé ceux-ci à user de modération et d’indulgence envers les sujets égarés ; mais cette assemblée leur disait de déposer les armes, de là leur colère. « La diète a plus besoin de nous que nous n’avons besoin d’elle ! s’écriaient-ils. Nous ne voulons plus des nobles, il n’y aura de paix en