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clergé, et à l’allégement des charges qui pesaient sur la petite bourgeoisie et les gens des campagnes.

L’échec éprouvé par les insurgés devant le château de Liebfrauenberg arrêta le cours de leurs succès ; c’est à ce moment que Truchsess fit subir aux paysans leurs premières défaites, et qu’en Thuringe les anabaptistes étaient vaincus dans le combat dont je parlerai bientôt.

Si des hommes tels que Wendel Hippler et Götz de Berlichingen avaient gardé seuls la direction des forces insurrectionnelles, les événemens eussent eu selon toute apparence une autre issue. Afin de mettre un terme à une guerre qui menaçait d’être longue et meurtrière, les princes, l’empereur lui-même, auraient fait des concessions et accordé aux populations révoltées ce qu’il y avait de plus légitime dans leurs demandes ; mais, tandis qu’en Souabe, dans les provinces rhénanes et la Franconie, les insurgés se montraient alors disposés à suivre les conseils de la prudence et s’en tenaient aux idées du luthéranisme, dans la Hesse et la Thuringe l’insurrection avait à sa tête les représentans des doctrines les plus subversives et les plus exagérées. La prédication de Münzer y avait tourné les têtes. Le plus grand nombre des rebelles ne voulaient point entendre parler de transaction, souscrire à aucun article où seraient reconnus l’empereur et les anciens droits de souveraineté. Des bandes indisciplinées poursuivaient là l’œuvre de destruction, qui ne s’était pas au reste arrêtée dans la Souabe et dans les provinces rhénanes[1], et s’acharnaient contre les châteaux, les couvens et les églises. Plusieurs villes, Hersfeld, Fulda, Erfurt, étaient aux mains des insurgés, qui dictaient leurs conditions sans s’entendre avec le conseil-général de l’insurrection. A Hildburghausen, à Meiningen et dans quelques autres localités, il s’était formé des corps-francs qui se déclaraient prêts à tout faire pour assurer le triomphe du nouvel ordre de choses. Münzer se trouvait à Mühlhausen, ville libre impériale, où il avait été choisi par les habitans pour ministre de l’Évangile malgré l’opposition des principaux bourgeois. Soutenu par une populace qu’il avait fanatisée, il exerçait dans la ville une dictature plus absolue encore que celle qu’il s’était jadis arrogée à Altstadt. Il avait fait déposer les membres des états pour les remplacer par ses créatures ; il avait fait voter l’expulsion des magistrats et des moines, et, installé dans la maison des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, il dictait de là ses ordres, donnés par lui comme des inspirations divines. Ses discours étaient empreints de la plus farouche exaltation. Il y continua, avec plus de fureur que

  1. Dans le seul duché de Wurtemberg, on avait saccagé et pillé six monastères.