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d’orthodoxes que ne ménageaient pas les biblistes ou indépendans, décidés à pousser la réforme jusqu’à ses dernières conséquences. Ces radicaux s’adressaient de préférence aux classes pauvres, et avaient gagné leurs sympathies en demandant le partage des biens du clergé, la suppression des dîmes, des corvées et des redevances. Zwingli se voyait donc, ainsi que se vit Luther, dépassé. Comme lui, il se rejeta en arrière : afin de résister au torrent, il fit appel aux conservateurs ; il défendit résolument la propriété et les dîmes, et, devenu par l’adoption de sa confession de foi l’arbitre religieux de Zurich, il appliqua le principe qu’il avait combattu quand les catholiques exerçaient le pouvoir, celui de l’autorité en matière de dogmes. Disposant du sénat à son gré, il fit voter par cette assemblée les articles de foi, procédant à l’égard du culte comme on le faisait pour les lois purement civiles et les mesures d’administration ou de police. Son précédent radicalisme s’était singulièrement modéré. Il avait incliné tout d’abord à la doctrine de la rebaptisation ; il la repoussait maintenant ; il s’attachait à conserver dans la liturgie nombre d’observances traditionnelles qu’il semblait auparavant disposé à rejeter. Les biblistes lui opposèrent ses propres paroles. N’avait-il pas dit que la volonté de l’état ne pouvait prévaloir sur l’Évangile ? Et maintenant il prétendait imposer le suffrage de la majorité à ceux qui étaient forts des prescriptions contenues dans le livré divin.

A la tête de l’opposition contre le grand réformateur zurichois s’était placé un jeune homme qui avait d’abord été l’un de ses plus chauds partisans. C’était Conrad Grebel, une de ces individualités dont les révolutions abondent, un de ces déclassés ambitieux qui prennent leurs convoitises pour des convictions et n’aspirent à bouleverser l’état que parce qu’ils y voient le moyen d’arriver au pouvoir. Issu d’une bonne famille de Zurich, Grebel avait étudié avec succès les belles-lettres à Vienne et à Paris, et se destinait à l’enseignement ; mais, d’un caractère indocile et passionné, il s’était brouillé avec les siens, contre la volonté desquels il avait contracté un mariage où il ne consulta que son cœur. Il tomba dans la gêne, et, espérant s’y créer une position, il revint à Zurich, où il chercha l’occasion d’appeler sur lui l’attention. Le mouvement religieux la lui fournit. Il mit son savoir littéraire au service des doctrines nouvelles et seconda avec ardeur les projets de Zwingli, qui fondait sur lui les plus belles espérances et lui emprunta fréquemment son érudition classique. Toutefois Grebel n’avait rien de la modération et de la douceur de Mélanchthon, s’il en avait quelque peu la science, et, au lieu de se faire le prudent conseiller du Luther suisse, il préféra en devenir l’adversaire et jouer le rôle d’un second Carlstadt.