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réclamaient une amélioration de leur sort. En général, le Bunaschuh et les associations qui s’y rattachaient s’en prenaient plus à la domination ecclésiastique qu’à celle des seigneurs, contre lesquels on était cependant mal disposé ; mais cette hostilité n’impliquait pas un esprit d’impiété. Des idées religieuses s’alliaient souvent chez les séditieux à leurs projets de révolte : à Spire, ceux qui voulaient être admis dans la ligue devaient réciter chaque jour à genoux cinq Pater et cinq Ave ; à Lehen en Brisgau, Josse Fritz et ses adhérens invoquaient Dieu comme le protecteur de leur entreprise.

Ces tentatives d’insurrection échouèrent devant l’énergique répression qu’on déploya contre elles, et les tribunaux sévirent sans pitié en plusieurs lieux du Brisgau et du margraviat de Bade ; mais, si l’on avait réprimé, on n’avait pas cherché à porter remède aux maux auxquels étaient dues en partie ces soulèvemens populaires. Dans l’état où se trouvait l’Allemagne, il n’était pas besoin de bien puissantes excitations pour amener une conflagration ; les premières protestations de Luther contre Rome suffirent à ranimer une révolte mal assoupie et, pour le peuple, des espérances d’émancipation qui n’avaient point eu le temps de se dissiper complètement.

Bon nombre de partisans de la réforme proclamée par l’augustin de Wittenberg se recrutèrent parmi ces hommes enthousiastes dont je parlais tout à l’heure, qui cherchaient la religion plus dans les rêves de leur imagination exaltée ou mystique que dans une étude approfondie et critique des livres saints. La sympathie qu’ils manifestèrent d’abord pour Luther tenait à l’aversion qu’ils avaient, comme lui, pour les pratiques de l’église romaine et le despotisme théologique du saint-siège. Une fois la rupture consommée avec l’orthodoxie, la tendance de leur esprit les poussa dans une direction tout autre que celle qu’avait prise le grand maître de ce qui devint le protestantisme. Au premier rang de ces novateurs, qui laissaient loin derrière eux Luther, se place Andréas Bodenstein, dit Carlstadt, du nom de sa ville natale. Formé comme lui à l’université de Wittenberg, il fut tout d’abord son émule, et se montra l’un des plus vigoureux contradicteurs de Jean Eck, qui défendait avec force l’autorité de l’église. « Carlstadt, écrit le célèbre historien Léopold Ranke, était une de ces natures d’esprit qu’on observe fréquemment en Allemagne, qui, toutes portées qu’elles soient à approfondir les questions, ne craignent pas de rejeter résolument ce qui a été unanimement reconnu comme vrai avant eux, ou de soutenir ce que l’on a jusqu’alors universellement rejeté, sans cependant sentir le besoin de mettre dans leurs idées une clarté qui en assure la démonstration. » Plus impétueux que le moine