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I

Quand, le 15 décembre 1520, Luther brûlait solennellement devant une des portes de Wittenberg la bulle de condamnation que le pape avait lancée contre lui et les livres du droit canonique, il ne faisait que donner le signal de la révolte qui se préparait depuis longtemps en Allemagne. La lutte n’éclata pas tout à coup ; elle existait bien avant que l’audacieux moine d’Eisleben eût élevé la voix ; mais, de sourde qu’elle avait été, elle devint une guerre ouverte. Luther, pour triompher d’un adversaire aussi redoutable que l’église, ne pouvait négliger aucun des moyens d’attaque que lui fournissaient les ennemis de celle-ci. Dans la rude entreprise où il se jetait, nul auxiliaire n’était à dédaigner ; il rencontrait des forces nombreuses ; le difficile était de les discipliner. Sa résolution, sa ténacité, son éloquence et son savoir appelaient sans doute le jeune docteur à devenir le chef dû mouvement religieux, mais il ne possédait pas dans le principe toutes les qualités nécessaires au rôle militant qu’il allait jouer. C’était plutôt un controversiste et un pamphlétaire qu’un homme d’action et un organisateur, plutôt une parole qu’un bras. Il pouvait remuer les masses populaires, exciter les princes, passionner la jeunesse des écoles, non diriger des négociations ou se mettre à la tête d’une résistance armée. S’il prenait parfois les allures du tribun, il n’y avait en lui rien du fanatique ou du démagogue. Son intention n’était que de combattre ce qu’il regardait comme les mensonges et les erreurs de l’église romaine ; il ne songeait point à changer les institutions de l’empire, à refaire la société. Aussi, pour réaliser son plan, s’appuyait-il sur les princes fatigués du joug de la papauté et sur les griefs que la diète opposait au saint-siège. Il ménageait la puissance laïque, afin de tenir par elle en échec l’autorité spirituelle. Si les acclamations populaires l’avaient salué à son entrée à la diète de Worms, il ne pouvait d’autre part oublier que c’étaient des princes, les ducs Eric et Guillaume de Brunswick, le jeune landgrave de Hesse, le comte Guillaume de Henneberg, qui l’avaient soutenu et encouragé, quand il était sorti de cette assemblée tout ému et quelque peu effrayé. Il s’agissait d’abord pour Luther, non de fonder un nouvel ordre de choses, mais de prouver sa doctrine. Par son éducation, il était avant tout théologien, et la réforme religieuse avait une telle importance à ses yeux qu’il y sacrifiait sans hésitation une réformé politique sur laquelle ses idées n’avaient guère été tournées. Cette dernière réforme au contraire, le peuple ne la séparait pas de la première, et les princes la poursuivaient également, mais ils