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d’importans seigneurs. Le clergé possédait de vastes domaines et d’immenses revenus, en sorte que ses membres joignaient au prestige et à la sainteté du sacerdoce le crédit et l’influence de la richesse : il se recrutait dans les familles les plus illustres et les plus opulentes, dans la bourgeoisie la plus aisée ; il s’associait les plus intelligens et les plus ambitieux des enfans du peuple. Le clergé en un mot jouissait de tous les avantages sociaux ; mais dans la pratique, par suite de sa composition et du relâchement des mœurs, il était arrivé à oublier sa véritable mission, à se soustraire aux devoirs qui lui avaient fait accorder de si exorbitans privilèges. De là jalousie et mauvais vouloir à son endroit chez les grands comme chez les petits. Ces sentimens, dont les symptômes se manifestaient sous mille formes, n’attendaient qu’une occasion pour se traduire en un état de guerre où l’on devait prévoir que chacun des adversaires du clergé poursuivrait ses intérêts particuliers.

Les réformateurs, quand ils rompirent avec le catholicisme, furent donc secondés par les tendances de la masse des mécontens, qui vit en eux à la fois les restaurateurs de l’enseignement évangélique et les redresseurs des torts qu’on reprochait au clergé ; mais le danger auquel la guerre déclarée à l’église exposait la société n’était pas moins redoutable que les maux qu’on voulait guérir. En Allemagne, ainsi que dans la plupart des pays chrétiens, l’église faisait corps avec l’état. Les privilèges du clergé étaient liés à ceux de la noblesse et à toute l’organisation politique. Combattre l’église, c’était donc ébranler le, gouvernement et affaiblir l’esprit d’obéissance et de discipline qui est indispensable au maintien de l’ordre public. L’entreprise où l’on s’engageait devait forcément amener une œuvre de destruction, car les diverses parties de l’édifice catholique, tel que l’avaient fait les siècles, étaient cimentées les unes aux autres. Quand on voulut entamer les assises supérieures et ce qui semblait n’être qu’une construction parasite, on eut à vaincre la résistance de celles qui leur servaient de support ; la démolition des assises sous-jacentes nécessita l’enlèvement d’autres qui les soutenaient à leur tour, et de couche en couche on arriva rapidement jusqu’à la base. L’édifice se trouva de la sorte rasé presque au niveau du sol. Les réformateurs n’avaient d’abord condamné que le trafic des indulgences, la collation simoniaque des bénéfices, la confusion des choses saintes et des intérêts mondains ; ils rejetèrent graduellement les canons des conciles et les dogmes que ces canons avaient consacrés. Quelques-uns finirent par n’accepter d’autre autorité que la Bible, livrée elle-même à la libre interprétation de chacun.

La résistance obstinée qu’opposaient à la réforme des abus ceux