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l’habitude d’intimités plus hautes, et il se moque de sa propre vanité ; c’est du reste ce qu’il a de mieux à faire, car pour la cacher, il ne réussirait pas.

La poésie rêveuse de l’Orient n’est point du goût d’un esprit positif tel que le sien. Mark Twain souhaite à la Turquie d’être annihilée par son ami le tsar ; mais en Palestine, le saint livre à la main, il recommence, comme il dit, à se sentir at home. Avec cette érudition, nous pourrions presque dire ce pédantisme biblique propre à ceux de sa religion, il compose consciencieusement un itinéraire des plus agréables et des plus sérieux à la fois, où l’esprit de vénération dont il nous avait paru tout à fait dépourvu jusque-là s’affirme d’une manière très remarquable. Il y a des sujets sur lesquels l’humoriste américain le plus audacieux ne plaisante jamais : c’est une supériorité de cette littérature légère sur la nôtre.

L’ensemble du Pleasure Trip on the continent mérite-t-il cependant le succès dont il jouit ? Malgré l’indulgence que nous devons avoir pour les jugemens d’un étranger en songeant que ceux d’entre nous qui ont visité l’Amérique sont tombés sans doute sous l’influence de préjugés presque aussi dangereux que l’ignorance dans des erreurs égales, malgré l’esprit dont pétillent certaines pages, il faut dire que ce voyage est fort au-dessous des excursions moins célèbres du même auteur dans son propre pays. Il n’a ses coudées franches, il n’est absolument lui-même avec les instincts énergiques qui le portent aux difficultés et à l’aventure, avec ses explosions de gaîté vaillante, au milieu des circonstances les plus terribles, que dans ce far-west, où, le rire aux lèvres, il se fraie un rude chemin. parmi les bandits et les Indiens, les déserts et les neiges, maniant tantôt le revolver, tantôt les outils du mineur, pour saisir enfin, après avoir brandi la pioche et secoué la battée, la plume du journaliste d’une main non moins vigoureuse. Les villes telles que Virginia-City conviennent à son tempérament de pionnier mille fois mieux que nos capitales européennes féodales et gothiques, reines déchues parfois et qui s’enveloppent dans leur deuil d’une silencieuse majesté que les initiés seuls savent comprendre. Ce qu’il lui faut, c’est le bruit, le mouvement, la vie industrielle et animale de ces rues encombrées d’une si longue procession de wagons de quartz, de charrettes chargées, qu’on est forcé parfois d’attendre une demi-heure pour traverser la voie principale, — et les constructions rapides, légères, de bois ou de brique, qui se dressent en un clin d’œil sous les noms de banques, d’hôtels, de théâtres, de prisons, de clubs, de cafés, de maisons de jeu, — et les rixes continuelles que ne parvient pas à empêcher la police,