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maintenant sous les yeux, c’est la préoccupation qu’ont eue nos ennemis de dissimuler dans des positions presque inexpugnables les navires de leur flotte. Tous les mouvemens maritimes entrepris par eux se bornent à l’exécution de ce projet : abriter les bâtimens d’une force secondaire, corvettes, avisos, canonnières, etc., dans ces canaux étroits et profonds qui forment l’entrée des ports de la Prusse entre Kiel et Dantzig ; expédier dans les eaux profondes des fleuves de la Mer du Nord les cuirassés et les frégates, qui, bien qu’appuyés à de nombreuses batteries et à des défenses sous-marines, pouvaient courir des risques dans Kiel, dont les abords, comme navigation, n’offrent aucune des difficultés que l’on rencontre à l’embouchure de l’Elbe et de la Jahde. La seconde partie de cette opération présentait seule des dangers. Elle ne réussit qu’à moitié ; des deux navires, le monitor l’Arminius et la frégate l’Elisabeth, qui tentèrent l’aventure de passer de la Baltique dans la Mer du Nord, un seul y parvint, le monitor ; la frégate fut obligée de rentrer à Kiel. Nous savons aujourd’hui par le rapport du commandant de l’Arminius que, contrairement aux suppositions faites à cette époque, le navire prussien s’échappa en allant chercher la côte suédoise, qu’il longea à petite distance ; la nuit venue, il arrondit très au large la pointe Skagen et entra dans l’Elbe. Les mailles du réseau que forme une escadre de blocus ne peuvent être assez serrées pour empêcher de pareilles surprises. Avec les navires à voiles, elles étaient regardées comme impossibles, et les Anglais s’indignaient en 1815 contre leur gouvernement pour un mauvais caboteur capturé dans un de leurs ports par un corsaire américain. De nos jours, les coureurs qui pénétrèrent dans Wilmington et dans Charlestown pendant la guerre de la sécession nous ont montré comment des capitaines bons manœuvriers, connaissant les localités, peuvent à tout instant tromper un ennemi nombreux et aux aguets.

Il ne resta donc à Kiel, après l’exécution du mouvement maritime dont nous venons de parler, que le Renoun, navire acheté récemment en Angleterre, et qui, mouillé à l’entrée de la baie, à la hauteur des batteries de Friederichsort, était, d’après les renseignemens fournis par les officiers de notre flotte, destiné, en cas d’attaque de notre part, à être coulé pour nous interdire l’accès d’une partie de la passe. L’Elisabeth, ayant échoué dans sa tentative de fuite, vint de nouveau s’abriter dans la rade, dont le système de défense fut complété par des obstructions de toute nature. La flotte des petits navires fut dirigée sur Swinemunde, dont le port n’est accessible qu’aux bâtimens d’un faible tirant d’eau ; la Nymphe fut expédiée près d’Héla, à l’embouchure de la Vistule ; le Grill et trois canonnières firent route pour l’entrée du canal qui