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Nouvelle-Calédonie, enfin le rôle important qu’elle a joué dans la guerre de Crimée, la font considérer comme un des élémens indispensables de notre puissance maritime. Le pays s’est habitué à cette idée, que le champ d’action de la marine ne doit pas être limité à un combat brillant sur mer, mais que partout et en toute circonstance les moyens de la flotte doivent être assez puissans pour mener à bonne fin cette grande opération d’un débarquement. Bien qu’il puisse sembler oiseux de discuter les chances d’un pareil mouvement au lendemain de la guerre, le jugement public, à notre avis, a tellement besoin d’être rectifié qu’on ne saurait exposer trop souvent les éventualités de cette œuvre maritime. Nous avons vécu depuis 1854 sur les souvenirs du débarquement d’Eupatoria ; des dispositions très habiles, jointes à des circonstances favorables de temps, à un choix excellent des localités et à l’absence de toute résistance immédiate, avaient couronné ce mouvement du succès le plus complet. Le tableau n’avait pas une ombre ; l’ordre avait été parfait d’un bout à l’autre de l’opération, et dès le lendemain les divisions pouvaient se mettre en marche pourvues de leur artillerie, de leurs réserves, de leurs vivres, de leurs ambulances. C’est là, il faut le dire bien haut, un débarquement admirablement réussi, mais dans des circonstances tout à fait spéciales. La défense n’a rien à sa disposition, ni batteries pour combattre la flotte de guerre, ni engins sous-marins pour la détruire ou la tenir à distance, ni télégraphes électriques pour signaler les mouvemens de l’ennemi, ni chemins de fer pour concentrer rapidement des troupes sur le point menacé. Est-ce en Allemagne que l’on peut espérer trouver réunies sur un seul point toutes ces conditions favorables ? Sur quelle côte de la Mer du Nord ou de la Baltique chercher une plage semblable à celle d’Eupatoria ? Le littoral de la Mer du Nord est une terre basse devant laquelle il faut, pour trouver une eau profonde, attendre les heures des marées et utiliser de nombreux amers qui, une fois enlevés, comme ils le sont au début des hostilités, ne permettent plus aux marins de naviguer avec sécurité au milieu de passes sinueuses. Dans de semblables localités d’ailleurs, les défenses sous-marines peuvent devenir, à un moment donné, des obstacles terribles. Le littoral de la Baltique ne renferme que peu de baies suffisamment larges pour abriter une flotte de transport, et, si la navigation y est plus facile, la défense a depuis longtemps accumulé à terre une artillerie puissante contre laquelle l’assaillant doit engager une lutte sérieuse. Enfin le réseau télégraphique est complet le long du littoral des deux mers, et les chemins de fer mettent chaque point important de la côte en communication rapide avec les centres de concentration de troupes. Dès lors toute surprise devient