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auquel le froid condamne dans la Baltique les puissances riveraines réduisait d’ailleurs à néant les velléités maritimes qu’elle aurait pu concevoir. Lorsqu’en mars 1848 les sujets allemands des duchés se révoltèrent contre le Danemark, et que le roi de Prusse, saisissant avec empressement une occasion de donner à l’exaltation populaire une diversion nouvelle, franchit sans déclaration préalable la frontière danoise, il n’avait pas un navire de guerre véritablement digne de ce nom à opposer aux vaisseaux de l’ennemi. Les événemens se chargeaient, il est vrai, de lui montrer en quelque sorte l’inutilité d’une marine. Cette guerre des duchés présentait en effet le spectacle étrange d’un vaisseau, le Christian VII, détruit dans la baie d’Eckernförde par le feu de deux petites batteries de campagne sans pouvoir infliger à son ennemi la moindre perte. Cependant il était facile de prévoir que le cas du vaisseau danois allait devenir une exception, qu’avec des navires pouvant tromper le calme au moyen d’appareils à vapeur des victoires de cette nature étaient désormais impossibles. L’apparition des premiers vaisseaux à hélice, le Charlemagne et le Napoléon, date de 1852, et c’est à cette époque que l’on voit poindre pour la première fois en Prusse l’ambition de jouer dans l’avenir un rôle prépondérant sur mer. Le 20 juillet 1863, le roi signe avec le grand-duc d’Oldenbourg un traité par lequel celui-ci lui abandonne, moyennant le prix de 1,875,000 francs, la souveraineté dans la Jahde d’un territoire mesurant à peine quelques centaines de mètres, de la commune d’Heppens, qui comptait 109 habitans, à charge pour la Prusse de faire construire un chemin de fer entre Heppens et Minden. Bientôt des difficultés surgissent à l’occasion de ce chemin de fer, dont le tracé vient couper un morceau du territoire hanovrien, et, dans le nouveau traité qui intervient en 1854, la Prusse arrondit déjà sa souveraineté d’Heppens du terrain nécessaire à un polygone et à un champ de manœuvres ; elle obtient même le droit de construire trois forts destinés à protéger son acquisition récente contre une attaque de l’intérieur.

Jusqu’aux grands événemens militaires qui marquèrent l’année 1866, l’Europe ne sembla point se préoccuper de l’existence de ce comptoir, dont la raison d’être devait d’ailleurs paraître inexplicable. La marine prussienne n’avait pris aucun développement : en 1853, elle ne possédait que deux corvettes et deux avisos à hélice ; en 1864, bien que le nombre de ses navires eût sensiblement augmenté, sa force maritime consistait principalement en canonnières destinées à naviguer dans les eaux fermées de la Baltique. Aussi, lorsque la confédération germanique prit en main la revendication des duchés allemands gouvernés par le Danemark, l’Autriche se trouva-t-elle seule, pour ainsi dire, à supporter les coups de la