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prétention, la facilité ordinaire de M. Amédée Achard a brodé un acte dont l’unique défaut est de tourner un peu court vers la fin.

Que manque-t-il à la comédie du Cousin Jacques de M. Louis Leroy ? Un peu plus de distinction. Avec la verve qui paraît être le caractère de son talent, le succès ne saurait lui manquer ; quelques tous plus délicats, un choix plus sévère dans les mots plaisans, ne mettront pas en fuite la gaité sur laquelle il compte à juste titre pour réussir. Dans les sujets les plus populaires et-même dans les paysanneries, on peut respecter la langue française. Ce langage mêlé de termes convenus et de saillies quelquefois bizarres ne date au théâtre que d’une trentaine d’années. Les étrangers en sont dupes ; ils ne manquent guère de le relever pour en faire quelquefois l’ornement de leur conversation en français. Leur méprise devrait servir d’avertissement aux écrivains qui ont du mérite comme M. Louis Leroy et plusieurs autres que nous pourrions citer ici. Gardons-nous de négliger aucun des moyens propres à maintenir la supériorité du théâtre national.

Dans la vie réelle, il arrive souvent qu’un mauvais sujet qui aime encore sa famille imagine, en un jour de crise domestique, d’en être l’ange tutélaire et la providence. Parce qu’il connaît mieux certains côtés de la vie, il se persuade aisément qu’il a plus d’expérience ; parce qu’il excelle à briser les vitres, il ne doute pas qu’il trouvera plus promptement qu’un autre la solution des difficultés qui intéressent toute la maison. Malheur aux parens qui attendent le salut de ce côté ! Il est rare que le vaurien ou le fou, avec les meilleures intentions du monde, ne précipite pas l’orage au lieu de le conjurer. Il n’en va pas ainsi dans les comédies, et cela est naturel. Sagesse et prud’homie ne sont pas intéressantes au théâtre : les contrastes y font la fortune des rôles comme des personnages ; ils ajoutent le plaisir de la surprise à celui des dénoûmens heureux. Un cousin mauvaise tête, autrefois la terreur de la famille de Valdent et de tout le pays, un garçon mal élevé, qui était de tous les charivaris et de tous les méchans tours joués aux citoyens paisibles, Jacques, revient des pays lointains au grand désarroi des parens, qui espéraient porter son deuil. Accueilli comme il s’y devait attendre, mais, prenant bravement son parti de son peu de succès, il aperçoit au premier coup d’œil les dangers qui menacent le bonheur des siens ; il voit, ce dont personne ne se doute, qu’il y a bien du mal caché dans le Danemark, suivant l’expression de Shakspeare. Les efforts qu’il fait pour y porter remède sont fort mal pris ; sa détestable réputation nuit à ses intentions excellentes : on l’accuse à peine arrivé d’avoir mis le trouble dans la paix intérieure. Il a découvert que Mme de Valdent se laisse courtiser par un M. de Chambry, qui abuse de l’hospitalité, un beau séducteur de femmes mariées, l’éternel ami intime de nos comédies actuelles : s’il fait mine de s’y opposer, Jacques est un mentor indiscret, un jaloux. Il a reconnu dans le