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Parmi les professions diverses qui sont en possession d’égayer la comédie française, il en est une, celle des armes, qui a presque toujours été traitée avec faveur. Ce n’est pas seulement M. Scribe qui a réservé aux officiers les rôles chevaleresques, ainsi que le succès en amour et la grosse dot. Au XVIIIe siècle, ils sont comblés de bonnes fortunes. La fausse Agnès de Destouches et la duchesse de Sedaine s’humanisent pour de beaux militaires. Chérubin, qui trompe Almaviva, est un colonel en herbe. Le théâtre avait pour l’épaulette la partialité d’une bonne ville de garnison : il en est de même encore ; seulement la comédie et le roman de nos jours se plaisent à revêtir les hommes d’épée de sérieuses vertus. Le comte de Bourchambault des Tyrannies du colonel est un de ces personnages sincères et brusques, solides et fidèles, comme le fer qu’ils portent à leur côté. Il adore sa femme Louise, mais il rejoint son régiment sans broncher. Il passe en Afrique six mois, et ne songe pas qu’il laisse derrière lui le vide et le désœuvrement. Au bivouac, il pense à elle, et ne le lui dit pas : c’est si naturel dans un homme qui obéit à son devoir de mari comme à la consigne, et ne s’en vante point. Il lui écrit et lui parle des Arabes auxquels il donne la chasse, et des Kabyles qu’il met à la raison ; son amour seul est laconique. Heureusement il revient d’Afrique et n’en rapporte pas seulement de la gloire : Bourchambault n’est pas de ceux à qui l’on pourrait dire, comme dans une comédie de Boursault :

Monsieur le colonel, qui n’êtes pas soldat…


il est soldat jusqu’au bout des ongles : il a reçu ce qui s’appelle en langage du métier une bonne blessure, une de celles dont on réchappe, une blessure heureuse, puisqu’elle lui donne le loisir de rester chez lui, de se guérir, et de guérir aussi l’esprit malade de Louise. Une femme désœuvrée trouve toujours, quand elle le veut, et presque sans le vouloir, un homme qui n’est pas moins inoccupé. Je me trompe : rien de plus rempli que les journées de son attentif, M. Maurice. Suivre cette femme comme s’il était son ombre, épier ses mouvemens, ses langueurs, ses ennuis, voilà sa vie. Il décore cela du nom d’idéal ; c’est le sacrifice de sa jeunesse, de sa carrière, à un amour. Voilà qui paraît beau tant qu’on n’entend pas d’autre langage ; mais que ce mari brave et loyal paraisse, son idéal à lui est le dévoûment à son pays, son sacrifice, celui du sang. Voilà qui est sérieux, réel, et qui s’accorde avec toutes les affections vraies et légitimes. Le brusque officier fait pâlir le doucereux soupirant. On s’aperçoit bientôt que les prétendues tyrannies de ce soldat ne sont que des contrariétés d’humeur, des malentendus, que la vraie tyrannie est du côté de ce mielleux, de ce rampant, qui abuse de quelques avantages obtenus, et impose ses exigences parce qu’on a écouté ses prières.

Dans le conflit du mari et de l’amant, il y a un ami, un médecin,