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raison, comme le médecin, de penser que ce petit être, que cette espérance, qui est un avenir et qui semble le prolongement du passé, est seule capable de rallumer en lui la raison obscurcie. On le voit, les moyens employés dans Nina et dans Marcel se ressemblent ; il y a pourtant une différence considérable.

Ce sujet de Nina, usé par son extrême popularité, usé surtout parce qu’il ne tomba point entre des mains capables de lui communiquer une longue vie, ce sujet a bien plus de charmes pour un auditoire de théâtre. Que de nuances de sentiment, dont aucune n’est perdue ! Quelle grâce dans cette folie que l’amour produit, et qu’il dissipe peu à peu comme un soleil de printemps chassant les nuages ! Cette maladie mentale est à la fois tragique et riante : elle finit dans un baiser. La folie d’un père qui a tué son enfant est plus poignante et plus profonde, je le reconnais ; mais qu’elle est triste ! La démence à la scène est chose lugubre : on ne saurait la supporter que durant une scène. Les auteurs de Marcel ont réussi, à force de tact, de simplicité, de naturel, à vaincre cette grande difficulté. Ils tiennent le public attentif ; ils le font assister, curieux, ému, versant des larmes, à ces péripéties d’une guérison morale que tout semble assurer d’abord, que tout vient contrarier peu à peu. la situation semble toujours la même, et pourtant elle se développe, elle se déroule comme une crise dans une maladie. A chaque moment, on sent qu’avec une direction moins habile la pièce pouvait languir ; mais Gaston a dans les auteurs d’adroits médecins, et le public désire vivement le succès de l’expérience.

Toute la maison joue de son mieux la comédie avec cet homme souffrant qu’il faut tromper pour son bien ; tout est arrangé pour lui faire croire qu’il n’a eu qu’une méningite, et que sa fièvre ne date que de quelques jours. Cependant les artifices. employés, tout bien concertés qu’ils sont, font le péril de la tentative essayée. Gaston a le souvenir ineffaçable de la catastrophe. Plus on s’efforce de lui persuader qu’il ne s’est rien passé, plus le remords fatal résiste et s’attache à sa proie. Il défend en quelque sorte son mal contre ceux qui l’en veulent guérir : il veut sa perte. Son ami Maxime, qui est resté à ses côtés durant quatre ans, commence l’épreuve de la pieuse supercherie, mais il se hâte de le quitter, et il n’est que temps : sa présence allait rappeler de longs et tristes souvenirs. La vieille Germaine possède parfaitement son rôle ; toutefois elle le joue trop bien, et comment en serait-il autrement ? elle aime tant son maître ! Croyant bien faire, elle parle plus qu’il ne faudrait. Elle se complaît dans le détail de cette méningite fabuleuse ; moitié pleurant, moitié riant, elle lui raconte comment, durant sa maladie, il avait peur de sa femme, il faisait entendre de singulières paroles, il parlait d’un poids qu’il avait sur la conscience et comme d’un meurtre,… lui, le meilleur des hommes ! ce que c’est que la maladie !