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mais ce fait est une inquiétante révélation. C’est le symptôme d’un courant d’opinion qui tend à se déplacer au profit de la république, même de la république radicale, et ce mouvement tout d’apparence, tout factice, n’est possible que parce que le gouvernement n’est pas avec la majorité de l’assemblée, parce qu’il ne marche pas avec le parti conservateur, parce qu’il réserve ses coquetteries et ses faveurs pour la gauche, pour les radicaux, parce qu’enfin, avec sa politique équivoque, il laisse le pays flotter à tous les vents, s’en aller à la dérive. Voilà le vrai et sérieux grief ! Le gouvernement, par une sorte de violation permanente de toutes les conditions du régime parlementaire, le gouvernement s’est placé en dehors de la majorité, en dehors du parti conservateur qui l’a élu, qui l’a fait ce qu’il est. — Malheureusement c’est là toujours la question. Où est-elle cette majorité dont on parle sans cesse, qu’on croit sincèrement représenter, et qui est véritablement assez insaisissable ? Si elle existait aussi réellement qu’on le dit, elle n’aurait pas besoin d’aller faire reconnaître ses droits, au risque de s’exposer aux interrogations ironiques de M. Thiers. Qu’on étudie les scrutins qui se succèdent dans l’assemblée, il est visible que cette majorité se déplace ou se modifie incessamment, selon les occasions, selon les questions qui s’agitent. Qu’on observe comment les partis se mêlent et se groupent, il est évident qu’il y a des fractions d’opinion considérables qui ont entre elles des affinités ou des antipathies communes, qui se retrouvent sur le même terrain dans les circonstances décisives, mais qui n’ont pas ce caractère de cohésion morale, d’organisation permanente, de force collective, qui fait les majorités puissantes et irrésistibles. Une majorité, c’est là justement ce qu’on cherche. Depuis un an, on se livre à toutes les combinaisons, aux efforts les plus laborieux et les plus consciencieux pour arriver à la former sans pouvoir y réussir. Les délégués de la droite et du centre droit y arriveront peut-être ; ils ont les meilleures intentions, nous n’en doutons pas. Jusqu’à ce qu’ils aient réussi, ils n’ont pu porter à M. Thiers que leur considération, leur esprit et leur bonne volonté, qui sont également incontestables, qui sont très certainement une garantie, mais qui enfin ne suffisent pas pour faire ce qu’on appelle une majorité.

Et cette politique conservatrice au nom de laquelle on somme le gouvernement de se décider, de prendre un parti, où est-elle ? quelle est-elle ? Nous ne demandons pas mieux, pour notre part, que de la voir, nous l’invoquons depuis longtemps. La difficulté est toujours de la préciser, de dire ce qu’on veut, de fixer les termes de ce programme qui pourrait devenir un symbole de conciliation, une garantie pour toutes les opinions comme pour tous les intérêts. Qu’on reproche au gouvernement de montrer certaines complaisances, certaines faiblesses pour des hommes d’une origine révolutionnaire qui ne lui donnent pas une force bien réelle, soit. Aller au-delà, franchement c’est un peu dur, et c’est assez injuste. Lors-