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ses préoccupations, ses vivacités d’impressions, elle peut s’inquiéter quelquefois de la direction des affaires ; elle n’a point sûrement l’intention de détruire un pouvoir qu’elle a créé, qu’elle remplacerait difficilement. Voilà la vérité toute simple, et le danger est de faire flotter aux yeux du pays toutes ces apparences d’agitations, de laisser croire à des crises que personne ne veut pousser jusqu’au bout, qu’un patriotisme prévoyant désavouerait dans tous les cas. C’est ce qui est précisément arrivé à l’occasion de cette démarche récemment tentée par la droite et le centre droit auprès de M. Thiers, au lendemain d’une nouvelle menace d’abdication de M. le président de la république et de ces dernières élections où l’on a cru voir une recrudescence du radicalisme. On a fait peut-être plus qu’on ne voulait, on l’a fait dans des conditions qui n’étaient pas des plus opportunes ou des plus heureuses, et le seul résultat de cet incident aura été de prouver une fois de plus qu’en politique ce qu’il y a de mieux encore, c’est de ne tenter que ce qu’on peut, de ne pas soulever les difficultés qu’on n’a pas les moyens de résoudre. C’est un chapitre de plus dans l’histoire des démonstrations inutiles.

Que se proposait-on ? que voulait-on faire ? Même après les explications données avec autant de talent que de loyauté avant et après, on ne voit pas bien encore ce que voulaient les délégués de la droite et du centre droit ; on ne saisit distinctement ni l’inspiration, ni le sens, ni la portée définitive de cette démarche de quelques-uns des plus importans personnages d’une fraction considérable de l’assemblée. A coup sûr, nul ne peut mettre en doute les intentions de ceux qui ont pris l’initiative d’une telle manifestation et qui sont allés en corps à la préfecture de Versailles, auprès de M. Thiers, comme des plénipotentiaires du parti conservateur. Ce sont des esprits distingués, libéraux, qui ont été frappés de certaines anomalies de notre situation, de certaines incohérences de notre politique, des faiblesses de l’action parlementaire, et qui ont cru pouvoir sans danger porter avec quelque solennité leurs doléances au chef du gouvernement. Ils étaient dans leur droit, cala n’est point douteux ; seulement ils n’ont pas vus qu’ils choisissaient mal leur moment, que, sans le vouloir, ils prêtaient à des équivoques dont on ne manquerait pas de s’armer contre eux, et qu’en définitive ils s’exposaient à se retirer comme ils étaient venus, après une de ces entrevues qui ne décident rien parce qu’elles ne peuvent rien décider, qui ne dépassent pas les limites d’une conversation diplomatique courtoise et inutile.

Chose curieuse à remarquer, des deux prétextes ostensibles de cette démonstration, l’un était au moins assez singulier et ne pouvait guère être un grief pour la droite. Il s’agissait de la loi militaire, du vote sur la durée du service actif, et de la menace de démission à laquelle M. Thiers s’est laissé entraîner. Or à qui s’adressait cette menace ? Nullement à la droite, qui était visiblement décidée d’avance à voter les