Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourtant émis qu’à 71 et 75 francs, tandis qu’en 1871 une somme dix fois plus forte se négocie à 82 fr. 50, et que le trésor public fait partout honneur à sa signature, au lieu de rembourser, ainsi qu’après février, les porteurs de ses bons et les déposans des caisses d’épargne en rente 3 pour 100 au-dessus des cours du jour.

Entre deux périodes douloureuses, mais à des degrés différens, comment donc expliquer que celle où les sacrifices doivent être de beaucoup les plus lourds les supporte bien plus aisément, en acquitte plus vite le prix, et trouve dans ces pertes mêmes la source d’une prospérité nouvelle ? Il suffit de poser la question pour la résoudre. En 1871, la France était incomparablement plus riche qu’en 1848 ; la nature même de sa richesse, les changemens intervenus dans les mœurs financières du pays, sont les causes du phénomène qui s’est produit.

Il serait difficile à coup sûr de faire la comparaison de la fortune publique aux deux époques sans tomber dans ces évaluations arbitraires qui ont amené par exemple à l’assemblée nationale des orateurs compétens à présenter des chiffres variant de 30 à 40 milliards, ce qui, selon la remarque même de M. Thiers, constitue « des écarts un peu forts. » Contentons-nous de chercher ce qu’a pu être l’épargne annuelle pendant le second empire. Un écrivain connu par des travaux financiers, M. Courtois, a essayé de l’évaluer à l’aide du tableau des émissions de valeurs de toute nature dans les dernières années. Pour souscrire tant de titres, il a fallu prendre sur le revenu et non déplacer des capitaux, car l’aliénation d’un capital suppose toujours la substitution au vendeur d’un acquéreur nouveau qui, pour occuper la place du premier, laisse le même vide à combler. C’est à 2 milliards annuels dans les derniers temps de l’empire que montent ces placemens. Que si on ajoute à ces sommes celles que l’industrie, la propriété elle-même, ont consacrées à des améliorations, on peut dire que de 1860 à 1870 l’épargne totale s’est bien élevée à 30 milliards. En évaluant à 10 milliards seulement l’épargne des dix années précédentes, on aurait pour la période entière le chiffre de 40 milliards. Encore une fois, ces calculs sont bien hypothétiques ; pour apprécier l’importance de l’épargne elle-même et constater les progrès de la richesse mobilière seule, nous aimerions mieux mettre en regard la cote des valeurs de bourse en 1848 et celle de 1870. La première ne contenait en valeurs françaises, avec les rentes 3 et 5 pour 100, que des actions de la Banque de France, des obligations de la ville de Paris, les bons du trésor, quelques canaux, les titres de plusieurs chemins de fer de petite dimension et de compagnies d’assurances, et en valeurs étrangères les rentes napolitaine, romaine et espagnole, voire enfin l’emprunt d’Haïti. La cote de 1870 renferme au contraire sur quatre pages