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projectiles, plaisir du reste qu’ils se passent fréquemment. Gontran fut tellement édifié de la messe et par suite du caractère du saint qu’il le voulut pour confesseur. Or, comme nous savons que Gontran fut un excellent barbare, — qu’il gouverna ses peuples avec une humanité et une douceur relatives, qu’il fit peu de mal et fit quelque bien, — il est permis de croire qu’une partie de ces bienfaits revient à l’influence du saint directeur de conscience qu’il avait choisi. C’est ainsi du reste que la dévotion traditionnelle semble l’avoir compris, car trois des petits tableaux populaires que nous avons mentionnés nous apprennent que saint Vorle doit être très particulièrement invoqué contre la famine, la guerre et la peste. Or que sont ces fléaux, au moins deux d’entre eux, sinon des fléaux politiques qu’on peut prévenir par un bon gouvernement et une vigilante administration ? Les Bourguignons ont invoqué saint Vorle contre la famine, la guerre et la peste, parce que sans doute de son vivant il avait contribué à écarter d’eux ces fléaux par ses conseils et son influence, parce qu’ils avaient dû à l’empire qu’il exerçait sur la conscience du roi un meilleur gouvernement que celui qu’ils auraient eu. Voilà comment tout s’explique, si l’on veut bien comprendre de quelle manière les faits s’engendrent et s’enchaînent en se transformant. Un cinquième tableau nous représente la translation des restes de saint Vorle de Marcennay à Châtillon au milieu d’un concours immense de populations. Cette translation fut opérée vers la fin du ixe siècle par l’évêque de Langres de cette période, — en bonne saison, peut-on dire, car certes jamais époque n’eut plus besoin d’être protégée contre la guerre, la famine et la peste que ce sombre temps d’incubation de la société féodale. Depuis cette époque, il est resté le patron de Châtillon-sur-Seine, où ses reliques sont exposées sous un dais, à une place d’honneur de l’église, à la vénération des fidèles.

« Ici à Châtillon, c’est un bon pays pour la piété ; ce n’est pas comme dans mon pays, à Avallon, où ils ne sont pas dévots du tout, » me dit dans le cours d’une conversation une dame, libraire de cette ville, chez qui j’étais entré pour obtenir quelques renseignemens. La chapelle de Saint-Bernard, dans l’église de Saint-Vorle, est en effet une preuve convaincante de cette piété. C’est une chapelle à demi souterraine, placée sous l’un des bras du transept, qui très anciennement était dédiée à la Vierge et où saint Bernard composa, dit-on, l’hymne de l’Ave maris Stella. Or à l’époque du choléra de 1854, la ville de Châtillon-sur-Seine ayant été miraculeusement préservée du fléau, qui s’en éloigna encore plus vite qu’il n’y avait paru, comme s’il eût été mis en fuite par une puissance invisible, les habitans de Châtillon, voulant reconnaître