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par les ducs d’un immense château-fort, qui occupait non-seulement la crête, mais une partie du monticule très escarpé où s’élèvent ses restes. Après les guerres de la ligue, les Châtillonnais firent réflexion que l’avantage le plus certain que leur procurât ce château était d’attirer sur eux la foudre, et qu’ils seraient fort heureux d’en être débarrassés. Ils en sollicitèrent donc la démolition auprès d’Henri IV, qu’ils eurent d’autant moins besoin de presser qu’ils venaient justement de soutenir contre ses troupes un siège opiniâtre. Certes ils avaient bien raison de préférer le bonheur à l’importance ; mais, comme il faut que les vœux humains, même quand ils sont raisonnables, aient toujours un vice quelconque, celui-là venait trop tard. Ils se débarrassèrent de leur château juste au moment où, cessant de leur être nuisible, il allait devenir pour eux un ornement. Aujourd’hui encore les débris, les pans de muraille ruinée qui servent de clôture au cimetière, le site pittoresque où il s’élevait, composent la principale curiosité de Châtillon.

L’église de Saint-Vorle s’élève sur la crête de cette éminence, tout contre les débris du château, et la situation en est telle qu’il est impossible qu’elle n’ait pas été enclavée dans l’enceinte de la forteresse antérieurement au XVIIe siècle, époque où elle a été rebâtie en partie. C’est une simple hypothèse que j’énonce sur l’inspection des lieux, car je n’ai pu me renseigner suffisamment à cet égard. L’édifice, disgracieux et lourd au possible, est sans beauté architecturale d’aucune sorte tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ; il n’en est pas ainsi de l’intérêt historique, qui est considérable. L’église est dédiée à saint Vorle, le plus modeste des saints ; c’est encore un souvenir qui ne date pas précisément d’hier. Saint Vorle était un simple prêtre du VIe siècle, curé d’une localité appelée Marcennay, qui fut trahi par sa renommée de piété comme la violette par son parfum. Notre qualité de touriste nous faisant un devoir de demander nos renseignemens aux choses plutôt qu’aux livres, consultons pour tous documens cinq petits tableaux d’une facture détestable, mais très populaires, qui sont suspendus aux murailles de l’église : ils nous apprendront ce qu’il nous importe de savoir. Le premier nous raconte que le roi Gontran, ayant ouï parlé des mérites de ce saint prêtre, voulut assister à sa messe. Gontran, fils de Théodebert, est le second des rois francs mérovingiens qui régnèrent en Bourgogne après la chute du royaume des Burgundes, qui avait duré un peu plus de cent années, — car les choses s’écroulent si souvent en ce monde qu’il est heureux que ce ne soient jamais les mêmes générations de maçons qui soient chargées de reconstruire l’édifice ; sans cela, la truelle leur en tomberait des mains de découragement, et ils finiraient de colère par se servir des moellons comme de