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couvercle de pierre pour toute inscription ; sur les côtés, une longue suite de menus arceaux romans ; c’est tout. Un des angles du monument a été brisé, mais par un accident du hasard plutôt que par la malice des hommes ; lorsque nous l’avons visité, une araignée était en train de vouloir réparer le dommage. Comme ce monument n’attire le regard ni par ses dimensions, qui sont très petites, ni par la couleur de sa pierre, ni par ses ornemens, il doit sans doute à sa modestie d’avoir échappé à la destruction, ce qui prouve que cette vertu a quelquefois des résultats heureux. C’est une véritable sépulture de chrétien, car rien n’y rappelle l’orgueil humain, et la dignité du mort n’y est indiquée que par l’emblème de ses fonctions : il est touchant comme l’humilité d’un homme qui pourrait être arrogant et qui consent à être affable.

Un autre débris, qu’on ne rencontre pas sans un sentiment de mélancolie, est un énorme cygne de pierre placé dans une vasque des jardins de l’abbaye. Cet animal n’a rien de remarquable, mais sa vue réveille le souvenir d’anciennes splendeurs et ressuscite les légions de moines lettrés et de nobles visiteurs mondains qui se promenaient autrefois en ces lieux. Tous ont disparu, ce cygne seul est resté dans sa vasque, depuis longtemps à sec. Le cou courbé droit, les ailes repliées dans l’attitude d’un cygne qui se laisse flotter, parfaitement immobile, il a l’air d’attendre que l’eau retourne à son bassin, mais comme un cygne qui aurait pris son parti de ce provisoire indéfiniment prolongé. Il semble vous dire : « Si l’eau revient, je me baignerai avec délices ; si elle ne revient pas, je continuerai à me chauffer au soleil. » Je ne pus m’empêcher, en le regardant, de faire un retour sur nous-mêmes, et de me dire in petto : « Eh ! pauvre cygne, sagement résigné, tu es l’emblème de bien des choses, et je connais à l’heure présente non-seulement plus d’un contemporain, mais de fort grandes institutions qui tiennent un peu plus chaque jour ton langage et disent comme toi : Si les eaux reviennent, tant mieux, si elles ne reviennent pas, tant pis, et quand bien même tout irait au diable, qu’est-ce que cela nous fait à la fin ? Si l’eau nous manque, il nous reste toujours le soleil, et, si cela même venait à nous manquer, les ténèbres nous offriraient une fraîcheur qui peut-être est délicieuse, et le sein de la terre un asile assuré où il nous sera encore plus égal qu’à l’heure présente que tout aille bien ou mal. »


III. — CHÂTILLON. — SAINT-VORLE. — LES PRUSSIENS A CHÂTILLON.

Grandeur n’est pas toujours synonyme de bonheur ; les habitans de Châtillon en firent autrefois l’expérience. Ils avaient été dotés