Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’évêque qui procéda à l’exhumation mérite d’être doublement cité, et comme type de l’époque, et comme champion heureux de la même cause pour laquelle saint Edme avait combattu. C’est ce Guy de Mello qui gagna la bataille de Bénévent contre le dernier des Hohenstauffen, Manfred, et qui avant la bataille donna avec son gantelet de fer une absolution générale à ses soldats en leur enjoignant pour pénitence de bien battre les ennemis. Le corps de saint Edme ainsi exhumé fut placé dans une châsse qui ne fut renouvelée qu’au XVIIe siècle, et qui a été si bien protégée par la piété populaire que les révolutions les plus dévastatrices ont passé à côté d’elle sans la toucher. Soutenue par deux anges de dimensions considérables, elle s’élève au-dessus du chœur, qu’elle domine un peu à la manière de ces gloires dont sont ornés les maîtres-autels des grandes églises.

Encore une particularité curieuse touchant ce personnage, qui compte parmi les acteurs importans de la première moitié du XIIIe siècle. Nous venons de voir saint Louis assistant à la cérémonie d’exhumation ; un autre roi, d’un caractère bien différent, Louis XI, dont on connaît la piété quelque peu énigmatique, avait pour saint Edme une extrême dévotion. En 1477, il fit le pèlerinage de Pontigny, et deux ans après, ne pouvant y assister à une procession solennelle, il chargea le clergé d’Auxerre d’y aller pour lui, et fit don au monastère de Pontigny d’une vigne située près de Dijon, « afin, disait la lettre royale, que les religieux priassent Dieu, notre Dame et saint Edme pour lui le roi, le dauphin et la reine, et même, ajoutait-elle, pour la bonne disposition de notre estomac, que ni vin ni viande ne nous puissent nuire, et que nous l’ayons toujours bien disposé. » Cette lettre peint Louis XI au naturel ; elle est louche et énigmatique comme son caractère, et l’on ne sait trop comment l’expliquer. Est-ce un dévot qui parle, est-ce un spirituel hypocrite ? Est-ce la bonne foi qui a dicté ces paroles, est-ce la ruse subtile[1] ?

Le souvenir de saint Edme ne doit pas nous faire oublier celui du fondateur de l’abbaye, Hugues de Mâcon, qui réclame une mention modeste comme son tombeau même. Ce monument du XIIe siècle, d’une élégante simplicité, se compose d’un carré long et étroit d’une pierre brune sans éclat, mais non sans charme. Ni sculptures, ni ornemens ; le temps des mausolées fastueux n’était pas encore venu : une grande croix abbatiale est gravée sur le

  1. Nous trouvons ce détail remarquable dans une des notes érudites de la récente édition qu’ont donnée du célèbre ouvrage de l’abbé Lebœuf sur le diocèse d’Auxerre MM. Challe, ancien maire d’Auxerre, et Quantin, bibliothécaire de cette ville, dont le nom est bien connu de tous les archéologues.