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moines raciniens, et qu’il aura saisi d’emblée l’imagination populaire par ses qualités à outrance, une austérité sans frein, une charité sans retenue, un enthousiasme communicatif, une éloquence imagée. Qu’il avait le don des fortes paroles, nous le savons, et nous n’en voulons pour témoignage que celle qu’il prononça à sa dernière heure : « nihil aliud nisi le, Domine, in terra quœsivi ; je n’ai cherché rien d’autre sur la terre que toi, Seigneur. » Nul sage n’a prononcé en quittant ce monde de plus belles paroles que cet appel passionné d’un serviteur fidèle au maître qu’il a servi, et quand on sent ce qu’un pareil cri renferme de loyale sincérité, et qu’on le lit au milieu de la solitude et du silence de l’église claustrale, il est fait pour émouvoir jusqu’aux larmes. Qu’était-ce donc lorsque l’homme qui prononça de telles paroles était présent, et offrait à des populations naïves le spectacle d’une vie d’accord avec le sens qu’elles renferment ?

L’exil du saint est de 1240, sa mort de la fin de 1241, sa canonisation de 1245, son exhumation de 1247. Toutes ces dates, si singulièrement rapprochées les unes des autres, disent assez, par l’empressement avec lequel il fut procédé à la canonisation, combien saint Edme fut à cette époque un personnage considérable. Le pontife régnant était alors Innocent IV, ce terrible Fieschi de Gênes, qui mit fin à la maison des Hohenstauffen, et frappa d’un coup mortel le parti gibelin d’Italie ; il n’avait garde de faire attendre la mémoire d’un homme qui avait si vaillamment combattu pour les droits du pouvoir spirituel contre le pouvoir temporel. La canonisation de saint Edme, si petit que soit cet épisode, se rattache donc directement à la lutte d’Innocent IV contre la maison de Souabe, et peut être considérée comme un de ces mille détails qui composent une politique et déterminent une situation. Le cloître conserve précieusement la bulle de canonisation et les lettres pontificales adressées aux évêques d’Angleterre et de Bourgogne pour qu’il fût procédé selon l’usage à l’enquête des actes du candidat à la sainteté. Nous avons tenu ces pièces entre nos mains ; l’écriture est pleine, impérieuse, imposante comme la politique qui les a dictées, et fait honneur par sa netteté à la main du secrétaire d’Innocent IV ; point n’est besoin pour les lire d’être versé dans les mystères de la paléographie. Ce fut deux ans après sa canonisation qu’il fut relevé de terre, et non presque immédiatement après sa mort, comme le prétend le biographe de la vie des saints, car un tel acte n’était légitime qu’après la sanctification, et, si la voix du peuple avait pouvoir pour désigner un saint, elle n’avait pas autorité pour le créer. La cérémonie eut lieu solennellement, en présence de la plus grande autorité du siècle, celle du roi saint Louis.