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perdu tous ses ornemens : de ses tombeaux, un seul lui reste, celui de son fondateur Hugues de Mâcon ; mais, tandis que la nudité de Vezelay donne le frisson de la mort, celle de Pontigny place l’âme du visiteur dans un état de sérénité religieuse qui ne permet pas de la remarquer. Quelque chose de vivant encore qu’on ne peut voir ni toucher, mais dont on sent la présence, circule autour de vous dans cette église et la remplit tout entière. Il faut aller à Pontigny pour comprendre et sentir ce que c’est que la puissance d’un souvenir, lorsque c’est celui d’un grand homme de bien. À Vezelay, il n’est resté que des souvenirs de contention, de disputes, d’âpreté ambitieuse ; la mort est là en dépit de la magnificence : à Pontigny, un saint a passé, la vie est là en dépit de la nudité. Je ne sais ce qu’il faut penser des nombreux miracles que la tradition attribue aux reliques de saint Edme, mais en voilà un dont je puis attester par moi-même l’authenticité : c’est que son âme est en ce lieu, c’est que sa mémoire y est vivante comme s’il était mort de la veille, et non en la lointaine année qui porte le millésime de 1241 ; on ne voit que lui, on ne pense qu’à lui, l’église ne par le que de lui, et les seules choses dignes d’intérêt qu’ait conservées le cloître sont celles qui nous entretiennent de lui.

La dévotion à saint Edme a été extrême parmi les populations de Bourgogne, qui pendant des siècles se sont portées en foule à son tombeau, et encore aujourd’hui les vœux écrits et les témoignages de reconnaissance suspendus au-dessous de la châsse où dorment ses os montrent qu’elle est loin d’être éteinte. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que, lorsqu’on cherche la raison déterminante de cette faveur populaire, on ne la trouve pas ; la dévotion à saint Edme est, comme la renommée de Roland, une de ces singularités obscures qui prouvent que la popularité est semblable à l’esprit divin, qui souffle où il veut, et dont on entend la voix sans savoir d’où il vient ni où il va. À peser toutes les circonstances, on trouve au contraire qu’il y avait toute sorte de raisons pour qu’il restât à peu près inconnu des populations de Bourgogne. Il n’était pas Français, et il n’est devenu nôtre que par adoption. Il n’a fait que passer sur la terre de France : il y est arrivé en 1240, et il est mort en 1241 ; encore faut-il ajouter que les derniers mois de sa vie se passèrent non à Pontigny, mais à Soissy, près de Provins en Brie ; c’est donc à peine si les populations de Bourgogne ont eu le temps de le connaître. Enfin l’exil qui le jeta parmi nous eut des causes encore plus politiques que religieuses. La sainteté du personnage est donc la seule raison qui explique cette popularité, et cette popularité nous dit à son tour combien dut être profonde une sainteté qui saisit en si peu de temps l’imagination du peuple. « Quatre