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lui fit voir après le meurtre. C’est une belle et dramatique histoire, et cependant combien il serait aisé de la rendre ridicule avec un peu de mauvaise foi ! mais on n’a qu’à la presser légèrement pour en faire jaillir la poésie pathétique et violente dont elle est pleine. Le pieux légendaire ne nous raconte pas autre chose que ce que nous avons lu si souvent dans Boccace et dans Bandello : la seule différence qu’il y ait entre eux, c’est qu’il se propose un but d’édification, tandis que les deux conteurs se proposent un but de divertissement. Saint Julien, mais c’est ce même jeune Italien dont nos lectures nous ont rendu le caractère si familier, violent, irascible, sombre à force de chaude ardeur, irréfléchi par excès d’amour, prime-sautier dans ses actes comme dans ses sentimens, ne mettant aucun intervalle entre la pensée et son exécution, jaloux et soupçonneux par sincérité de passion. Il y a des préjugés de plus d’une sorte, et tel que cette histoire ravirait, s’il la rencontrait dans Boccace, s’en détournera avec dérision parce qu’elle lui est présentée sous une forme pieuse, sans reconnaître qu’il se moque de ses propres préférences. En regardant ces vitraux, je suis frappé de cette réflexion, que nous apportons parfois dans notre interprétation de ces récits des âges passés bien peu de finesse et de bonne foi. Par exemple, nous lisons dans les Fioretti de saint François que le saint convertit un loup féroce d’Agobbio par la douceur de sa parole. Est-il bien difficile de comprendre que ce loup était un malandrin sans foi ni loi qui faisait l’effroi des campagnes, et que la terreur qu’il inspirait rendait d’autant plus féroce qu’elle le condamnait à une plus grande solitude et le laissait exposé à de plus grands besoins ? Il en est de même du cerf enchanté de Julien. Comme, loin d’être une invention ridicule, ce cerf nous fait bien comprendre le caractère de Julien et pénétrer dans sa nature ! Comme il nous dit spirituellement : Julien était d’âme jalouse, violente et portée au soupçon ! Le cerf et les ornemens de sa tête sont, si je ne m’abuse, depuis des siècles, le symbole populaire d’un certain état conjugal que le Sganarelle de Molière a rendu célèbre, et « visions cornues » est une expression métaphorique qui s’emploie pour qualifier les soupçons mal fondés et les chimères d’une imagination qui se tourmente de malheurs sans réalité. Le cerf de la légende signifie donc fort clairement que dès sa jeunesse Julien fut averti peut-être par sa propre conscience, plus probablement par quelque ami ou quelque judicieux et sympathique observateur de sa nature rencontré à l’improviste, qu’il avait une tendance presque irrésistible au soupçon et aux jugemens précipités, et qu’il devait se défier des visions chimériques, s’il ne voulait pas aboutir au crime.

Les sculptures très nombreuses de l’église, aimables comme elle,