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II. — SAUBT-FLORENTIN. — L’ABBAYE DE PORTIGNY. — SOUVENIR DE SAINT EDME.

Que tous ceux qui veulent se rendre compte du degré de solidité de l’édifice chrétien dans notre pays exécutent un voyage minutieux dans quelqu’une de nos provinces françaises, et je leur promets d’avance que même fidèles ils seront souvent étonnés, et qu’ennemis ils, seront à coup sûr effrayés du degré de profondeur où atteignent ses fondemens. Longtemps avant la monarchie, longtemps avant la nationalité française, longtemps même avant l’invasion, alors que le nom de France était encore inconnu, et qu’il n’y avait aucune raison de soupçonner ses glorieuses destinées futures, si ce n’est quelques obscures prophéties des vieux druides expirans, le christianisme jetait dans l’ombre les assises de cette société que quinze siècles d’existence n’ont pas encore épuisée. L’histoire de l’invasion, qui ne rencontra d’autre résistance efficace que celle de l’église, montre à quel point ces assises étaient puissantes ; mais ce n’est pas seulement à la date de la conquête définitive qu’il faut faire remonter ce patriotisme antérieur de tant de siècles aux commencemens de la patrie française ; il avait commencé bien longtemps auparavant, alors même que la foi en l’éternité promise à Rome par les oracles sibyllins n’avait encore reçu aucune atteinte sérieuse, et de ce fait la légende de saint Florentin est une preuve.

Qu’est-ce donc que ce saint patron de l’ex-fief de ces très hauts et très puissans seigneurs les Phélippeaux, comtes de Pontchartrain et ducs de La Vrillière, qui pendant plus de cent trente ans ont tenu à leur profit exclusif les charges de secrétaires d’état ? Nous n’avons pas à aller bien loin pour chercher nos documens, il suffit de nous adresser aux vitraux de l’église même de cette ville, qui racontent l’histoire du saint. Or voici ce que nous apprennent ces jolis documens coloriés. De même que les grands cataclysmes de la nature sont toujours précédés de signes avant-coureurs, la conquête germanique s’était annoncée par des invasions bien des fois répétées longtemps avant que fussent au monde les Wisigoths d’Ataulf et les Francs de Clovis. De temps à autre, une horde vomie par le trop-plein de l’océan barbare, dont le monde civilisé n’avait reconnu exactement ni la profondeur ni les rivages, fondait sur les Gaules, pareille à un tourbillon de ces sauterelles cuirassées de fer dont parle l’Apocalypse, ravageant un certain nombre de villes, détruisant un certain nombre de temples, et s’en retournait gorgée de. butin, aussi rapidement qu’elle était venue. De ces incursions, phénomènes précurseurs de l’inondation finale, la plus meurtrière fut