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parler des couvens. Accordez aux couvents la personnification civile et le droit d’acquérir des propriétés foncières au même titre que les individus, — la lutte entre la collectivité et l’individualité ne sera pas longtemps indécise. Avant cent ans, dans tout pays catholique, les couvens seront les seigneurs temporels du territoire ; la terre leur appartiendra. Sous l’ancien régime, tous les souverains, même les plus dévoués à l’église, comme Philippe II et Marie-Thérèse, n’ont cessé d’édicter lois sur lois pour arrêter les envahissemens de la mainmorte. Les lois modernes interdisent aux corporations religieuses d’exister comme personne civile et de posséder, et néanmoins elles se multiplient à vue d’œil en France, en Belgique, en Hollande, en Prusse, en Angleterre, partout où des révolutions violentes ne les chassent pas comme en Espagne, en Italie et en Portugal. Leurs richesses et leur puissance s’accroissent au point que les gouvernemens les plus solidement assis croient devoir recourir à des mesures exceptionnelles pour y mettre un terme. En Belgique, elles seront bientôt assez fortes pour braver toute opposition et pour dicter leurs volontés aux législateurs et au souverain. Rien qu’avec une législation comme celle des États-Unis en matière de fondations et de personnification civile, les communautés religieuses finiraient par accaparer tout le sol. Cet exemple peut nous aider à comprendre l’existence des communautés de village. Sans doute l’homme poursuit toujours son intérêt individuel, il cherche le bonheur et fait la peine, et mieux la responsabilité sera organisée, plus il sera poussé à bien faire et à travailler ; mais, la foi lui ouvrant dans une autre vie des perspectives de félicité éternelle, il se peut que, pour la mériter, il travaille ici-bas par obéissance et par dévouaient, comme dans certains monastères. La coutume, la tradition, exercent aussi aux époques primitives une influence que l’homme moderne peut à peine comprendre. C’est sous l’influence de ces mobiles que les travaux agricoles s’accomplissent dans les communautés de village. D’ailleurs, même avec le partage périodique des terres, celui qui cultive a toujours intérêt à le bien faire, puisque seul il jouit de la récolte bonne ou mauvaise. Cette pratique, tout étrange qu’elle paraisse, n’empêche donc point de donner au sol une bonne fumure et des façons suffisantes. Le tenant at will irlandais et même le fermier qui n’obtient sa ferme que pour trois et six ans, terme malheureusement assez fréquent, ont encore moins de garanties pour l’avenir que le paysan russe, à qui le mir n’enlève, tous les neuf ou douze ans, les champs qu’il exploite que pour lui en rendre au moins l’équivalent. Ce que le partage empêche absolument, ce sont les améliorations héréditaires, coûteuses, que le possesseur temporaire n’exécutera pas, puisqu’un