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la propriété collective du mir. Autrefois le moyen employé pour briser les résistances des mauvaises têtes ou pour se débarrasser des paresseux incorrigibles consistait à les livrer à la conscription. Les pères de famille, d’accord avec le starosta, purgeaient ainsi la commune des récalcitrans. C’est l’habitude de se soumettre à cette autorité despotique qui a donné au peuple russe cet esprit d’obéissance, d’abnégation, de douceur, qui le caractérise. Quel contraste entre le Russe et l’Américain ! Celui-ci, avide de changement et de mouvement, âpre au gain, jamais satisfait de son sort, toujours en quête de nouveautés, affranchi de l’autorité paternelle dès ses plus jeunes années, habitué à ne compter que sur lui-même et n’obéissant qu’à la loi, qu’il a contribué à faire, type achevé de l’individualisme ; le Russe au contraire, résigné à sa destinée, attaché aux traditions anciennes, toujours prêt à obéir aux ordres de ses supérieurs, rempli de vénération pour ses prêtres et pour son empereur, content de son existence, qu’il ne cherche pas à améliorer, et en somme plus heureux peut-être et plus gai que l’entreprenant et mobile Yankee au milieu de ses richesses et de ses progrès.


II

Les panslavistes croient que la communauté du mir assurera la grandeur future de la Russie. Les peuples de l’Occident, disent-ils, ont possédé des institutions semblables ; mais, sous l’influence de la féodalité et du droit romain, ils les ont laissées périr, — ils en seront punis par les luttes sociales, par la guerre implacable entre les riches et les pauvres. Il est contraire à la justice, ajoutent-ils, que la terre, qui est le patrimoine commun de tous, soit appropriée par quelques familles. Le travail peut être un titre légitime de propriété pour les produits qu’il crée, non pour le sol, qu’il ne crée point. En Russie, la commune reconnaît à tout individu capable de travailler le droit de réclamer une part de la terre qui lui permet de vivre des fruits de son activité. Le paupérisme, ce fléau des sociétés occidentales, est inconnu dans le mir ; il n’y peut naître, car chacun a de quoi subsister, chaque famille prend soin de ses infirmes et de ses vieillards. Dans l’Occident, une progéniture nombreuse est un malheur que l’on évite par des moyens que certains économistes préconisent, mais que la morale condamne. En Russie, la naissance d’un enfant est toujours accueillie avec joie, car elle apporte à la famille des forces nouvelles pour l’avenir, et elle est un titre pour réclamer un supplément de terre à cultiver. La population peut s’accroître, les territoires à coloniser en Europe sont immenses,