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développement, en y présidant à l’établissement d’institutions partout les mêmes. Seulement toutes les races n’ont pas marché du même pas. Tandis que les unes sont déjà sorties de la communauté primitive au début des temps historiques, d’autres continuent à pratiquer de nos jours un régime qui appartient à l’enfance de la civilisation. Dès les premiers temps de leurs annales, les Grecs et les Romains connaissent la propriété privée de la terre, et les traces de l’antique communauté du clan sont déjà si effacées qu’il faut une étude attentive pour les retrouver. Les Slaves au contraire n’ont point renoncé au régime collectif. La géologie nous apprend aussi que certains continens ont conservé une flore et une faune qui déjà ailleurs ont disparu depuis longtemps. C’est ainsi, dit-on, qu’en Australie on trouve des plantes et des animaux qui appartiennent aux âges antérieurs du développement géologique de notre planète. C’est dans des cas semblables que la méthode des études comparées peut rendre de grands services. Si certaines institutions des temps primitifs se sont perpétuées jusqu’à nos jours chez quelques peuples, c’est là qu’il faut aller les surprendre sur le vif, afin de mieux comprendre un état de la civilisation qui ailleurs se perd dans la nuit des temps. J’essaierai d’abord de faire connaître le régime des communautés de village tel qu’il existe encore aujourd’hui en Russie et à Java. Je montrerai ensuite que ce régime a été en vigueur dans l’ancienne Germanie et chez la plupart des peuples connus. J’étudierai enfin les communautés de famille si répandues en Europe au moyen âge, et dont le type s’est conservé jusque sous nos yeux chez les Slaves méridionaux de l’Autriche et de la Turquie.


I

Dans toute la Grande-Russie, c’est-à-dire dans cet immense territoire qui s’étend au-delà du Dnieper et qui est peuplé par 30 ou 35 millions d’habitans, la terre qui n’appartient pas à la couronne ou aux seigneurs est la propriété indivise, collective, de la commune. La commune est la molécule constitutive de la nationalité russe. Elle forme une personne civile, un corps juridique doué d’une vie propre très puissante, très active, très despotique même. Seule elle est propriétaire du sol ; les individus n’en ont que l’usufruit ou la jouissance temporaire. C’est elle qui duit solidairement au seigneur la rente, à l’état l’impôt et le recrutement en proportion de sa population. Elle se gouverne elle-même d’une façon bien plus indépendante que la commune française ou allemande. Pour tout ce qui concerne l’administration, elle jouit d’un self-government aussi complet que le lownship américain. L’ukase du 19 février 1861 lui a