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retrouvent dans l’Inde et déterminent toute la marche de l’administration de cette immense colonie. Ces antiquités juridiques, qui semblaient ne devoir intéresser que les savans spéciaux, offrent ainsi un intérêt tout actuel. Non-seulement elles jettent un jour nouveau sur les institutions fondamentales et sur la manière de vivre des hommes primitifs, mais, comme le fait remarquer M. Mill, elles nous élèvent au-dessus de ces idées étroites qui nous font croire que le seul mode d’existence des sociétés est celui que nous voyons fonctionner autour de nous.

L’histoire de la propriété est encore à faire. Le droit romain et le droit moderne ont pris corps dans un temps où l’on n’avait plus aucun souvenir des formes collectives de la propriété foncière qui pendant si longtemps ont seules été en usage. Il en résulte que nous ne pouvons guère concevoir la propriété autrement qu’elle n’est déterminée par les Institutes ou par le code civil. Quand les juristes veulent rendre compte de l’origine de ce droit, ils remontent à ce que l’on appelle l’état de nature, et ils en font sortir directement la propriété individuelle, absolue, le dominium quiritaire. Ils méconnaissent ainsi cette loi du développement graduel qu’on retrouve partout dans l’histoire, et ils se mettent en opposition avec les faits aujourd’hui reconnus et constatés. C’est seulement par une série de progrès successifs, et à une époque relativement récente, que s’est constituée la propriété individuelle appliquée à la terre. Tant que l’homme primitif vit de la chasse, de la pêche et de la cueillette des fruits sauvages, il ne songe pas à s’approprier la terre, et il ne considère comme siens que les objets capturés ou façonnés par sa main. Sous le régime pastoral, la notion de la propriété foncière commence à poindre ; toutefois elle s’attache seulement à l’espace que les troupeaux de chaque tribu parcourent habituellement, et des querelles continuelles éclatent au sujet des limites de ces parcours. L’idée qu’un individu isolé pourrait réclamer comme exclusivement à lui une partie du sol ne vient encore à personne ; les conditions de la vie pastorale s’y opposent absolument. Peu à peu une partie de la terre est momentanément mise en culture, et le régime agricole s’établit ; mais le territoire que le clan ou la tribu occupe demeure sa propriété indivise. La terre arable, le pâturage et la forêt sont exploités en commun. Plus tard, la terre cultivée est divisée en lots, répartis entre les familles par la voie du sort ; l’usage temporaire est seul attribué ainsi à l’individu. Le fonds continue à rester la propriété collective du clan, à qui il fait retour de temps en temps, afin qu’on puisse procéder à un nouveau partage. C’est le système en vigueur aujourd’hui dans la commune russe ; c’était au temps de Tacite celui de la tribu germanique.