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de le faire, — que ces communautés ont existé chez les peuples les plus divers, chez les Germains et dans l’antique Italie, au Pérou et en Chine, au Mexique et dans l’Inde, chez les Scandinaves et chez les Arabes, exactement avec les mêmes caractères. Retrouvant ainsi cette institution sous tous les climats et chez toutes les races, on peut y voir une phase nécessaire du développement des sociétés et une sorte de loi universelle présidant à l’évolution des formes de la propriété du sol. Les hommes primitifs se sont servis partout des mêmes instrumens grossiers que leur fournissait le silex, et ils ont réglé de la même façon la possession de la terre sous l’empire de conditions semblables.

Deux publications ont récemment appelé l’attention sur cette matière, encore peu connue et où il reste beaucoup de découvertes à faire. L’une est due à M. Nasse, professeur à l’université de Bonn, qui vient de mettre en lumière, avec une connaissance vraiment extraordinaire des sources, un fait que bien peu d’Anglais soupçonnaient, à savoir que les communautés de village ont été primitivement le régime général de la propriété en Angleterre, et que des traces nombreuses de cet ordre de choses se sont perpétuées jusqu’après le moyen âge[1].

L’auteur de la seconde publication est sir Henry Maine, si connu par son livre Ancient Law, essai magistral sur l’histoire philosophique du droit et sur ses rapports avec les civilisations primitives. M. Maine, ayant résidé dans l’Inde, où il remplissait de hautes fonctions judiciaires, a été frappé de retrouver au pied des monts Himalayas et aux bords du Gange des institutions tout à fait semblables à celles de l’antique Germanie, et il a fait connaître ces curieuses concordances dans le livre dont nous avons transcrit le titre en tête de cette étude. Il y fait bien ressortir l’importance des faits qu’il décrit. Il semble, dit-il très justement, que de tous les côtés à la fois des lumières nouvelles viennent éclairer les pages les plus obscures de l’histoire du droit et de la société. Ceux qui croyaient que la propriété individuelle s’est dégagée, par de lentes transformations, de la communauté primitive avaient déjà trouvé les preuves de ce fait dans les villages anciens des pays germaniques et Scandinaves. Ils étaient plus frappés quand on venait leur montrer que l’Angleterre, toujours supposée soumise depuis la conquête au régime féodal, contenait autant de traces de propriété collective et de culture en commun que les pays du nord. Ils se sont fortifiés encore bien plus dans leur conviction en apprenant que ces formes primitives de possession et d’exploitation du sol se

  1. Ueber die mittelalterliche Feldgemeinschaft in England, von Erwin Nasse.