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précisément dans la saison de la maturité des fruits. » Malgré de si magnifiques prédictions qui prenaient le ciel pour témoin et pour complice, les astres infidèles ne devaient pas continuer à favoriser longtemps la constitution républicaine de ces mystérieuses coïncidences qui semblaient de si bon augure. Quoi qu’il en soit, le nouveau calendrier, malgré ses mérites, avait un tort, irrémédiable à vrai dire : il choquait à la fois les habitudes et les croyances. Il substituait à la légion des saints, objet de vénération et de prière, tantôt des noms de plantes et d’animaux utiles, tantôt des noms de vertus, et il remplaçait le dimanche par le décadi. Aux antiques cérémonies il en faisait succéder d’autres auxquelles il paraissait bien difficile de donner le même charme, la même grandeur, le même éclat. Des luttes de force et d’adresse, des exercices gymnastiques, des mâts de cocagne, des prix, quelques instructions morales, des scènes arrangées pour tirer des vertus des représentations semblables à de petits drames, voilà à quoi aboutit le plus grand effort en ce genre de culte et de solennités. La révolution semblait d’ailleurs prendre à tâche de multiplier les fêtes, autant peut-être que l’avait fait l’ancien régime, auquel on avait tant reproché le nombre exagéré des fêtes et des chômages. Aux fêtes habituelles, on ajoutait annuellement cinq jours de sans-culottides. La cinquième de ces fêtes était consacrée à l’opinion. Une pleine licence devait être laissée à la parole et à la presse !

L’élément de luxe et d’art employé pour arriver au cœur par l’imagination et les yeux était condamné à un rôle effacé par l’essence même de ce culte, qui ne rappelait d’ailleurs en général que de louables sentimens sous d’irréprochables images. Suffisait-il de canoniser en quelque sorte tel instrument aratoire en l’inscrivant au jour du décadi ? Avec ces commémorations rurales, on ne pouvait guère dépasser le cercle des idées et des emblèmes qu’on retrouve aujourd’hui dans les fêtes que célèbrent nos comices agricoles. Le jour était-il destiné à consacrer tel devoir ou tel âge de la vie, comment s’ingénier pour entourer de l’appareil des fêtes le désintéressement, l’amitié, la vieillesse, et à quel éclat pouvait prétendre la très honnête fête des époux ? La recherche du simple ne risquait-elle pas de mener à la platitude ? La prétention au sublime n’avait-elle pas toute chance d’aboutir au ridicule ? Par ces essais, par des projets plus nombreux encore, on ne pouvait que tourner, et on ne fit que tourner dans un cercle monotone. La révolution eut un tort plus grave. Elle voulut elle-même être une religion d’état. Elle se fit intolérante, persécutrice. Elle voulut que ces fêtes fussent obligatoires comme la célébration du décadi. En même temps le dimanche était proscrit, et ceux qui restaient fidèles au repos qu’il consacre et aux fêtes qui le solennisent furent poursuivis, comme