Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verser dans les cœurs une furieuse ivresse ? Elle ne fut point froide, ne manqua point son effet, cette fête rendue vivante par les terribles passions qui l’animaient, placée entre le 10 août, qui en est l’occasion, et les massacres de septembre, qui achèvent de lui donner toute sa signification. « Jamais fête ne fut plus propre à remplir les âmes de deuil et de vengeance, d’une douleur meurtrière[1]. »

Quelles réjouissances pouvait-on mêler à des fêtes publiques célébrées au milieu de l’angoisse des âmes, sous le coup de la pensée de la guerre avec l’étranger, des luttes à mort des partis ? Les dates mêmes qu’elles commémorent sont souvent sanglantes, ne rappelant que les souvenirs qui ont laissé la plaie la plus envenimée, le 21 janvier, le 31 mai ! Sans doute il y eut aussi des fêtes consacrées aux victoires de la république. On y trouve des parties brillantes, des éclairs de grandeur ; mais la chose à laquelle on pense le moins, et à laquelle on réussit le moins quand on y pense, c’est le plaisir, la joie populaire, comme s’il y avait sans cela des fêtes ! On s’en souvient pourtant de temps à autre. On y met la contrainte, l’effort tourmenté qui est partout. Il semble qu’on décrète la joie, qu’on prenne à tâche d’organiser laborieusement la gaîté publique. Tout, dans d’étranges programmes, paraît enjoint et noté d’avance. A une cérémonie funéraire en l’honneur de Marat, tandis que son buste, étalé partout, et son cœur même étaient présentés à l’idolâtrie populaire, on fit des libations à ce qu’il plut aux ordonnateurs de la fête d’appeler ses mânes. Rien de plus mécanique que l’ordre de cette cérémonie. Tout y procède avec la régularité d’une manœuvre. Après que chaque partie du programme est accomplie, il est prescrit dans le style étrange de l’époque de vider les urnes, ce qui veut dire de vider les verres, opération qui se reproduit d’ailleurs de la manière la plus fréquente. A un moment, les assistans sont prévenus de ne plus mettre aucunes bornes à leur douleur. Dans une autre fête, il est indiqué qu’à un moment marqué toutes les mères devront regarder leurs enfans avec des yeux attendris. « Le peuple ne pourra plus contenir son enthousiasme ; il poussera des cris d’allégresse qui rappelleront le bruit des vagues d’une mer agitée que les vents sonores du midi soulèvent et prolongent en échos dans les vallons et les forêts lointaines. » Le plan de Merlin de Thionville, lu le 30 septembre 1794, en vue d’une fête prochaine, et qu’on trouve tout au long dans le Moniteur, peut servir de type à ce genre de fêtes soumises à une minutieuse discipline ; . Merlin de Thionville veut que le peuple tout entier chante à la fois, à un certain moment, le peuple s’écriera lui-même : « Vive le peuple ! » On célébrera les récentes

  1. Michelet, Histoire de la Révolution, t. IV.