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périr leur œuvre politique, mais par nous qui leur survivons ! Se borne-t-elle au contraire à emprunter au passé les élémens de son travail de reconstitution, à les combiner avec plus de méthode, à les approprier aux besoins d’une société nouvelle, elle fait œuvre qui dure. Dans ses réformes du luxe public, on en trouve d’utiles, celles qui ont tenu compte d’élémens préexistans ; on y rencontre des tentatives avortées, celles qui présentent le caractère exclusivement révolutionnaire. Comment s’en étonnerait-on ? Innover absolument en fait de luxe public, croire qu’on peut braver là impunément plus qu’ailleurs les traditions, les usages, les convenances d’un pays qui se manifestent par ses mœurs, il n’y a pas de plus chimérique illusion. L’effort, même aidé de la contrainte, n’y suffit pas ; l’effort ne donne pas l’originalité, la vie.

Faire des beaux-arts une école de patriotisme et de vertu, c’est l’idée des anciens. La révolution s’en empare ; elle y mêle ces principes de civilisation et de démocratie, qu’elle rattachait à une théorie philosophique, et dont elle voulait étendre l’application à tous les peuples, considérés comme les membres d’une seule famille. Sans doute, au milieu de la grande lutte où la république est engagée, les arts, les fêtes porteront par momens la marque d’un patriotisme plus farouche, plus exclusif ; une certaine universalité n’en demeure pas moins le caractère dominant des tendances de la révolution en cette matière comme en toute autre. Morale, lumières, humanité, voilà sa devise ordinaire, devise souvent mal traduite ou même foulée aux pieds ; il ne faudrait pas croire pourtant que rien n’en a respiré et passé dans ses créations et dans ses tentatives, même si on se renferme dans cette question spéciale du luxe public.

La manière dont la révolution conçoit, organise les arts, en est certainement un témoignage. Elle veut initier la masse à de plus nobles jouissances. Ne peut-on travailler de la main tout le jour et pourtant être capable de recevoir cet éclair, ce rayon divin de l’art, de goûter un beau tableau, une œuvre forte, héroïque, de la statuaire ? Le peuple sera-t-il à jamais confiné dans ce que la matière et les sens ont de plus grossier ? Nous honorons la révolution française de ne l’avoir pas cru ; c’eût été tomber, pour les nations modernes, au-dessous de ces républiques anciennes qui multipliaient sous les yeux de la masse les monumens des arts, qui leur offraient les plus nobles représentations au théâtre, qui leur donnaient des fêtes empreintes d’un grand caractère. A quelques exceptions près, qu’on peut nommer monstrueuses, on a pu dire que l’art adoucit, élève, civilise. Il moralise donc aussi, mais comment ? Par ses effets plutôt que par ses intentions directes, résultant d’un parti-pris. En thèse générale, toute œuvre belle est morale par là même, car elle exerce sur l’imagination et le cœur une action