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cuter les otages, qui ont multiplié les victimes sans jugement : ce sont ceux qui, dans le sentiment incorruptible d’un douloureux et grand devoir, se croient obligés de laisser la loi s’accomplir. Des journaux ont l’indignité de signaler avec affectation les noms des membres de la commission des grâces, un député les insulte. L’assemblée inflige la censure au député, il s’en fait une cocarde, il s’en vantera devant ses électeurs, et voilà comment on respecte la souveraineté nationale, la justice, les lois ! L’assemblée, pour les radicaux, ce n’est pas la souveraineté nationale ; la souveraineté nationale, à leurs yeux, est à Lyon, dans un club de la rue Grolée d’où est sorti ce député obscur, digne de son obscurité, et qui, ne pouvant rien faire de mieux, aspire à la notoriété de l’outrage ! Et quand le pays voit cela, croit-on qu’il puisse être bien disposé à se rassurer, qu’il n’ait pas quelque raison de s’inquiéter, de se demander ce qui arriverait si ce monde injurieux et violent, aidé par des organisations clandestines, parvenait à triompher dans un moment de surprise ? Pense-t-on qu’une dissolution de l’assemblée actuelle, qui offrirait une issue à ces menées agitatrices, soit fort opportune pour le bien public, pour l’intérêt national ?

C’est là ce qui entretient l’inquiétude dans le pays bien plus que toutes les distinctions théoriques entre les systèmes de gouvernement, ou que la défiance d’un régime qui lui a déjà donné, avec la paix, un commencement de réorganisation. Oui, ce qui trouble la France, c’est la menace de cette invasion de barbares intérieurs faisant suite à l’invasion étrangère, espérant se frayer un chemin à travers les agitations que l’esprit de parti provoque, et voilà pourquoi il faut que toutes les volontés, que tous les patriotismes s’unissent pour maintenir la situation actuelle, pour la défendre contre les fauteurs d’une dissolution intempestive aussi bien que contre ceux qui, par impatience du provisoire, se laisseraient aller à tenter d’autres aventures. Cette situation, nous ne sommes même pas les maîtres de la changer, nous devons encore moins songer à l’affaiblir ou à la déconsidérer, tant que les Allemands sont en France, tant qu’au moindre incident ils peuvent mettre six de nos départemens en état de siège comme ils viennent de le faire, tant qu’ils gardent jusqu’à cette faculté cruelle de réoccuper des départemens déjà libres, s’il survenait des circonstances de nature à diminuer à leurs yeux les gages de leur sûreté, tant que nous n’avons pas enfin reconquis notre indépendance et la liberté de nos mouvemens par l’acquittement complet et définitif de notre indemnité. Au lieu de disputer à notre malheureux pays le droit de vivre, la sécurité relative qu’on lui ménage, on ferait beaucoup mieux de songer à cette libération nécessaire, d’aller au-devant de tous les sacrifices d’opinion pour offrir au crédit européen, que nous pouvons avoir à invoquer, les garanties d’une nation unie et paisible.

Qu’on ne l’oublie pas, c’est la vraie question ; pendant que nous en